(traduction Françoise Poyet)
"Et qu'y a-t-il d'autre qui t'a fait soupçonner Gosseling?" demanda Lisabeth, lorsqu'elle eut dominé son fou rire.
"Lorsque nous sommes entrées dans la maison de cet espèce de petit serpent, j'ai fouiné dans l'un des tiroirs de son bureau. Et là j'ai trouvé un testament qui contenait une foule de renseignements précieux."
"C'était le testament de qui?" demanda Lisabeth, curieuse.
"Le testament de la dame qui a volé le Service en Cristal du Tsar Wladimir," dit Anne fièrement. "Elle était la femme d'un consul à Moscou et avait cinq enfants. L'aîné se prénommait Archibald, c'était l'oncle de Peter Pennickx et nous le connaissons bien. Tout ceci me semble exact, car le testament stipulait qu'après la mort de la dame, Archibald hériterait de toute sa collection de cristaux et de porcelaine, ce qui s'est effectivement produit.
Tous les autres enfants étaient des filles. L'aînée s'appelait Béatrice. Elle a épousé le père de Peter Pennickx et hérité non des cristaux mais de l'argent.
Mais voici le plus important: la troisième s'appelait Catharina. Elle a épousé un certain 'de Gosselingue' et donné naissance à un fils, prénommé Govert. Ainsi, Govert Gosseling, tout comme Peter Pennickx, sont des petits-enfants de la dame qui a fauché le Service de Cristal, au nez et à la barbe du Tsar. Je pense donc que Gosseling connaissait l'existence du Service, puisque sa mère avait hérité de la bibliothèque et des archives familiales. Mais il ne pouvait pas s'en emparer, tant qu'il était entre les mains d'Archibald, qui était son oncle au même titre que celui de Peter Pennickx. Peut-être qu'Archibald ne savait même pas qu'il possédait le vrai Service moscovite, mais il devait être conscient de sa valeur, car c'était un connaisseur. Govert Gosseling, alias 'de Gosselingue' a attendu la mort d'Archibald, espérant être son héritier, mais ce vœu n'a pas été exaucé.
Au lieu de cela, le Service est allé à son cousin, Peter Pennickx. Mais il n'est pas resté très longtemps chez lui, puisque je me suis enfuie avec, peu de temps après, et c'est pourquoi Gosseling a été obligé de venir me trouver.
"Le misérable, ne nous avoir rien dit de tout cela," déclara Lisabeth. "Et les deux dernières filles? Est-ce qu'elles ont hérité de quelque chose?"
"Non," dit Anne-Christine. "Elles sont mortes avant la rédaction du testament. Je sais seulement le prénom de la quatrième: Dieudonnée."
"Quel prénom ridicule!" dit Lisabeth, et à nouveau, elle éclatèrent de rire toutes les deux. A ce moment précis, on sonna à la porte d'entrée.
"Oh, c'est toujours la même chose, juste au moment où nous n'avons rien sur le dos!" s'exclama Anne-Christine." Qui va ouvrir, toi ou moi?"
"Toi, bien sûr," dit Lisabeth qui riait toujours. "C'est moi qui t'ai sauvée de la catastrophe aujourd'hui, en changeant le contenu du panier juste à temps."
"D'accord, et je t'en suis déjà très reconnaissante," grommela Anne-Christine en sautant du lit et en enfilant un déshabillé. Quand elle ouvrit la porte, elle eut un choc, car quelqu'un qu'elle connaissait bien se tenait sur le seuil.
"J'ai un petit cadeau pour Lisabeth et pour vous," dit l'Officier qu'elles avaient rencontré en France, et qui avait donné l'ordre à ses soldats de fouiller la colline.
"Entrez donc, je vous en prie," dit Anne-Christine. "J'espère que vous n'êtes pas choquée de me trouver encore en robe de chambre."
"Un soldat doit toujours être prêt au pire," dit l'homme avec un clin d'œil qui en disait long.
"Vous au moins, vousêtes clair sur vos intentions," dit Anne-Christine. "Il y en a d'autres qui sont moins directs dans ce qu'ils veulent dire. Mais entrez donc et je verrai ce que je peux faire pour vous."
L'Officier ramassa ses bagages et suivit Anne-Christine jusqu'au salon.
"Asseyez-vous, je vous en prie," dit-elle en lui montrant le divan. "Vous prendrez peut-être quelque chose?"
"Vous avez du cognac?" demanda l'Officier.
"Je vais vous en chercher," répondit Anne-Christine.
Elle revint peu après, une bouteille de cognac à la main, sa robe de chambre attachée de telle façon qu'elle savait qu'elle s'ouvrirait dès l'instant où elle allait s'asseoir. Ce fut exactement ce qui se produisit lorsqu'elle prit place sur le divan à côté de l'officier et qu'elle lui offrit à boire.
"A votre santé," dit l'Officier, en levant son verre d'une main, tout en glissant l'autre le long des cuisses d'Anne-Christine.
"Ces sacoches," fit-il, en les indiquant de la main qui tenait son verre, "contiennent le reste des découvertes de la colline, qui ont tellement intéressé Lisabeth. Pendant que vous étiez partie chercher mon cognac, j'ai remarqué que vous avez déjà exposé vos propres couteaux."
"Oui, en effet," dit Anne-Christine, qui éprouvait quelque difficulté à suivre la conversation, car la main de l'Officier avait maintenant atteint sa destination. "C'est très joli, ce genre de vitrine. On peut y placer des objets…, tout ce qu'on veut, en fait."
"Vous voulez dire que vous pouvez exposer toutes les découvertes?" demanda l'Officier.
"C'est exactement ce que je veux dire," répondit Anne-Christine, qui n'était plus très présente.
"Père!" s'écria Lisabeth, au moment où elle entrait dans la pièce pour s'assurer que tout allait bien en bas. "Père, vous voilà, enfin!"
Anne-Christine revint brutalement sur terre et au début ne comprit rien à la situation. Mais lorsqu'elle vit la manière dont l'Officier et Lisabeth se retrouvaient et s'embrassaient comme père et fille, elle comprit que Lisabeth lui avait réservé une surprise.
"Tu ne savais pas, n'est-ce pas?" demanda Lisabeth lorsqu'elle eut fini d'étreindre l'Officier. "Grâce à ton aide, j'ai pu retrouver mon père, tout à fait par coïncidence, en France."
A nouveau, elle se blottit contre le bel uniforme chamarré.
"Il faut que tu m'expliques cela depuis le début," dit Anne-Christine. "Depuis quand ne vous étiez-vous pas revus?"
"J'étais toute petite quand il est parti," dit Lisabeth gaiement. "Nous ne nous sommes même pas reconnus ce soir-là, dans la tente sur la colline. Mais lorsque je n'ai plus eu sur moi que mon icône miniature, il a réalisé qui j'étais, car il n'en existe qu'une au monde."
"Qu'une icône ou qu'une Lisabeth?" demanda malicieusement Anne-Chrsitine.
"Qu'une de chaque," dit le père avec fierté. "Et moi, je suis très soulagé de vous retrouver saine et sauve et sans une égratignure, car il y a de sérieux problèmes en France en ce moment. Vous savez qu'ils ont tué notre Roi."
"Oui, et j'en sais bien plus encore," dit Anne-Christine en fronçant les sourcils. "Mais, venez, asseyons-nous et faisons une bonne causette."
"Nous venons d'une famille aventureuse," commença l'Officier. "Mon père était diplomate et espion et avait reçu l'ordre de se rendre de Moscou au Japon, pour surveiller de près ce qui se passait là-bas. C'est pendant ce voyage, au cœur des frimas de Haute-Mongolie, que je suis né et que mes deux parents sont morts. J'ai grandi là-bas parmi les gens du lieu, mais après un certain nombre d'années, j'ai décidé de voyager jusqu'à ce qu'on appelle le monde civilisé. C'est là que j'ai rencontré la mère de Lisabeth, mais je ne suis pas arrivé à me stabiliser définitivement et j'ai donc cherché de nouvelles aventures lorsque Lisabeth était à peine plus haute que ça," dit-il en joignant le geste à la parole.
"Je me suis enrôlé dans plusieurs armées et je suis bien content que mon dernier engagement se soit terminé il y a quelques jours, car ce n'est pas drôle d'être soldat en ce moment. Tout le pays est sens dessus dessous."
"Vous pouvez rester ici," dit Anne-Christine. "Mais, si j'ai bien compris, votre père était aussi diplomate à Moscou?"
"Oui, mam'selle," dit l'Officier. "Mais pourquoi voulez-vous savoir ça?"
"Je... je viens de voir un testament concernant un diplomate à Moscou et, en particulier l'épouse de ce diplomate m'intéresse plus spécialement."
"Anne, tu es folle!" s'écria Lisabeth. "Ça ne peut pas être vrai. Ça voudrait dire que ma propre arrière-grand-mère…"
"Qu'est-ce que vous racontez là?" demanda l'Officier complètement perdu.
Anne-Christine l'interrompit tout de go. "Est-ce que vous connaissez le prénom de votre mère?"
"Elle s'appelait Dieudonnée," dit-il après un long moment d'hésitation.
"Ah, maintenant je vois," dit Anne-Christine,"et je crois savoir pourquoi."
Elle s'adressa alors à l'Officier. "Votre grand-mère avait eu un certain nombre d'enfants. Nous avons quelques informations sur quelques uns d'entre eux: nous connaissons Archibald, ainsi que Béatrice, qui a épousé le père de Peter Pennickx. Il y a eu aussi Catharina, qui allait porter le nom de M. Gosseling et maintenant, nous pouvons ajouter votre mère, Dieudonnée, à la liste. Quand votre grand-mère est morte, sa fille Dieudonnée n'a pas été mentionnée dans le testament, car on avait appris sa mort en Haute-Mongolie bien avant la rédaction du testament."
"Tout ceci est sans doute cent pour cent correct, mais comment êtes vous si remarquablement renseignée sur le sujet?" demanda l'Officier, éberlué.
"C'est une longue histoire, cher Monsieur," soupira Anne. "Et je doute que ce soit une bonne idée de vous la raconter toute entière."
Anne-Christine se leva de son siège. "Je vais vous laisser quelques minutes. Je crois que je ne me sens pas très bien," murmura-t-elle en se dirigeant vers la porte. "Je vais m'allonger jusqu'au dîner."
Une fois couchée, Anne-Christine eut beaucoup de difficultés à mettre de l'ordre dans ses pensées. Elle avait découvert que Gosseling était un des héritiers directs de la personne qui avait volé le Service moscovite, mais maintenant elle savait aussi que la jeune fille qui partageait sa vie en ce moment même semblait avoir plus de droits sur le Service qu'elle n'en avait elle-même.
"Et je ne sais même pas où se trouve le Service!" se dit-elle avec un sursaut. "Qui sait ce que Lisabeth a bien pu mettre dans le panier avec lequel Gosseling s'est enfui?"
Quand l'idée lui vint que Lisabeth avait pu cacher son Service ou même le laisser partir, elle eut froid dans le dos et elle bondit hors du lit sans attendre.
"Que je suis bête et naïve!" se dit-elle, toute frémissante d'angoisse."Gosseling et Lisabeth se sont joués facilement de moi. Ils sont cousins!"
Elle se précipita à la porte de sa chambre et l'ouvrit sans faire de bruit. Puis, sur la pointe des pieds, elle descendit jusqu'au bureau, en s'assurant que la porte ne grinçait pas.
"Le panier est parti," fut sa première remarque. "Pas de problème, si toutefois Lisabeth en a retiré le Service avant," espéra-t-elle.
Elle se mit à fouiller fébrilement toute la pièce, mais, à sa grande satisfaction, elle trouva bientôt le Service dans le tiroir de son propre bureau. Elle ôta sa robe de chambre et y enveloppa les cristaux. Puis elle se faufila à nouveau jusqu'à sa chambre, toujours en prenant soin de ne faire aucun bruit. Elle referma la porte derrière elle et prit le temps de réfléchir quelques instants.
Elle emballa soigneusement le Service dans un carton à chapeau, où elle mettait les vêtements qui avaient besoin d'être raccomodés. Elle vérifia chaque pièce du service à la lumière et pour plus de sécurité, elle fit chanter chaque verre, pour s'assurer qu'ils rendaient le son voulu. Avec précaution elle donna une chiquenaude au corps de la carafe et pour terminer, elle fit jouer les rayons du soleil sur le Globe, pour être bien sûre que c'était le vrai.
A ce moment-là elle entendit Lisabeth et son père monter les escaliers. Sans perdre une seconde, elle ouvrit la fenêtre et grimpa sur la banquette pour pouvoir atteindre le lierre qui recouvrait la façade.
"C'est une question d'urgence!" se dit-elle, en se laissant glisser le long des branches, sans rien d'autre sur elle que le carton à chapeau qu'elle tenait serré contre sa poitrine. Elle courut à travers le parc jusque chez Ruyters, qui n'en croyait pas ses yeux lorsqu'il lui ouvrit la porte.
"Vite, il faut que vous m'aidiez!" dit Anne-Christine en bousculant le régisseur et en s'engouffrant dans sa petite maison.
"Oh, Ruyters, s'il vous plaît, cessez de me regarder comme une bête curieuse," implora Anne-Christine. "Vous avez été marié. Vous devriez savoir à quoi ressemble une femme."
"Bien sûr, Mademoiselle, mais vous, et si soudainement!" bégaya-t-il.
"Je vous en prie, Ruyters, c'est pour moi de la plus haute importance: voulez-vous enterrer ce carton dans votre potager, aussi profondément que vous pourrez?"
"Bien volontiers, Mademoiselle Anne, mais vous êtes couverte d'égratignures!" dit-il, plein de sollicitude.
"C'est urgent, Ruyters. Faites exactement ce que je vous dis. Ne vous en faites pas pour moi, je vais retourner au Château sans attendre. Je vous serai très reconnaissante si vous faites ce que je vous demande."
"Mettez au moins mes brodequins, Mademoiselle, juste pour me faire plaisir. Le temps est bien loin où vous veniez jouer ici les pieds nus," dit le régisseur, qui semblait plus préoccupé par le bien-être physique de sa châtelaine que par son état d'esprit.
"Entendu, Ruyters, et je vous les rendrai dès que possible, je vous le promets. Vous êtes le seul en qui j'aie confiance, vous le savez?"
Anne-Christine enfila les énormes brodequins de Ruyters et le vit prendre une bêche et s'apprêter à creuser un trou dans le jardin. Mais, sans perdre plus de temps, elle quitta la maisonnette, en traînant les pieds.
"Je vous expliquerai plus tard, Ruyters," dit-elle, tandis qu'il plantait sa bêche dans le sol.
"Oh, ne vous inquiétez pas, Mademoiselle Anne, vous savez certainement ce que vous faites," eut-elle le temps de l'entendre dire.
En grimpant le long du lierre sur le mur, elle se rendit compte que les brodequins de Ruyters la gênaient plus qu'ils ne l'aidaient; elle les enleva donc et les prit à la main. Puis elle se laissa tomber épuisée sur son lit, qui était resté ouvert, exactement comme elle l'avait laissé.
Elle entendit vaguement Lisabeth et son père aller et venir dans le bureau, tout en bavardant. Elle avait du mal à comprendre ce qu'ils disaient et n'essayait pas vraiment de le faire.
"Mes cristaux sont à l'abri!" se dit-elle seulement en se laissant glisser dans un profond sommeil.
"Anne, réveille-toi," appela Lisabeth. "Le repas est servi."
"Je viens, je viens," furent les seuls mots qu'Anne put répondre. Elle venait de sortir d'un rêve complètement fou et avait l'impression que toute son opération de sauvetage en faisait partie. Mais après avoir trébuché sur les chaussures de Ruyters, elle sut qu'en fait cette expédition avait été bien réelle.
Elle ouvrit sa porte à Lisabeth.
"Jésus, Marie! Tes bras sont couverts d'égratignures, qu'est-ce que tu as fabriqué?" demanda Lisabeth, stupéfaite.
"Je t'expliquerai plus tard," répondit Anne. "J'ai faim et je descend avec vous dès que j'ai retrouvé ma robe de chambre."
"Ce M. Gosseling doit être un homme astucieux," dit le père de Lisabeth pendant le dîner. "Lisabeth m'a raconté tout un tas de choses pendant que vous dormiez. Je pense que ce n'est pas du tout par hasard que nous nous sommes rencontrés là-bas en France. Mais il a dû être déçu que ce ne soit pas avec vous mais avec ma propre fille que je passe la nuit. Il a dû se demander tout le temps si nous nous étions reconnus ou non."
"Moi aussi," intervint Anne-Christine.
"J'espérais te faire une agréable surprise," protesta Lisabeth. "Il m'avait dit qu'il allait quitter l'armée très vite et c'est pourquoi je l'ai invité, sans te demander la permission."
"C'est très bien, je suis juste un peu troublée sans doute," dit Anne-Christine. "Mais qu'est-ce que vous faisiez tous les deux dans mon bureau?"
"Lisabeth voulait me montrer le Globe de Cristal que nous avons déterré en France. Elle m'a raconté comment vous l'aviez récupéré. Mais il semble qu'il ait disparu du tiroir où il était censé se trouver," expliqua l'Officier.
"Tu crois que Gosseling l'a emporté?" demanda Lisabeth. "Où c'est toi qui lui a trouvé une meilleure cachette?"
"Oui, oui, ne t'en fais pas. Je ne suis pas toujours très soigneuse avec mes affaires, mais j'y tiens quand même," répondit Anne-Christine, qui retrouvait peu à peu sa bonne humeur.
"Ouf, je suis soulagée!" soupira Lisabeth.
Ce soir-là, dans leur grand lit, Anne-Christine et Lisabeth eurent une longue conversation à cœur ouvert.
"Tu sais Lisabeth, ça m'ennuie d'avoir un Service en Cristal qui te revient à toi plus qu'à moi," dit Anne-Christine. "C'est ton arrière-grand-mère qui l'a volée, pas la mienne."
"Oh, mais ce n'est pas un problème! Elle l'a volé, donc ce n'est pas le sien et ce n'est pas le mien non plus," répondit Lisabeth.
"Mais alors, ce n'est pas le mien non plus, car moi aussi je l'ai volé, même si c'était quelques siècles plus tard," chuchota Anne.
"C'est sans doute vrai," répliqua Lisabeth. "Mais peut-être qu'il ne demande qu'à être volé. Ou est-ce impossible?"
"Je n'en sais vraiment rien," dit Anne-Christine. "J'ai regardé deux fois dans ces cristaux et deux fois j'ai vu une jeune fille qui semblait être moi, et c'est pourquoi j'ai pensé que le Service m'était destiné. Puis, j'ai appris que tu étais l'arrière-petite-fille de la voleuse de Moscou, et c'est là que j'ai commencé à avoir des doutes. Peut-être que c'est toi que j'ai vue au milieu de toutes ces images multicolores. Au fait, qu'est-ce que tu as vu toi, quand nous avons berné Gosseling?"
Lisabeth hésita quelques secondes.
"Tout était plutôt confus. Je ne sais pas exactement ce que j'ai vu. Pour moi, ça ressemblait plutôt à la bataille dont Gosseling a parlé, mais tout bougeait sans cesse et je n'ai pas eu le temps de reconnaître qui que ce soit. Tu crois vraiment que ces cristaux peuvent créer ces images?"
Anne-Christine prit une grande respiration: "Je n'y comprends rien. Ces images sont très claires mais je persiste à me demander où elles se trouvent exactement: dans le Cristal, dans la pièce ou tout simplement dans ma tête? Si je demandais à Ruyters de déterrer les cristaux à nouveau?"
Lisabeth sursauta: "Tu lui as demandé d'enfouir le Service? C'est pour ça que tu es griffée de partout?"
"Je me suis peut-être un peu trop dépêchée, mais cet après-midi, c'est ce qui m'a semblé la chose la plus raisonnable à faire," déclara Anne-Christine. "Je ne pouvais pas prendre de risque. Ça m'a beaucoup perturbée d'apprendre que tu es la cousine de Gosseling."
"Ce n'est pas de ma faute!" s'écria Lisabeth.
"Mais maintenant, j'en ai assez!" dit Anne. "Si cette collection de cristaux s'envole dans la lune, je m'en contrefiche. J'en ai vraiment mon saoul!"
"Ne dis pas cela," répliqua Lisabeth. "Demain, nous allons déterrer tout ça et nous vérifierons si c'est un Service magique ou non."
"D'accord, puisque tu le dis," répondit Anne-Christine en se retournant, boudeuse, et en tournant le dos à Lisabeth.
"Merci de m'avoir rapporté mes chaussures," dit Ruyters. "Y a-t-il autre chose que je puisse faire pour vous, Mademoiselle?"
"Je crois que oui," dit timidement Anne-Christine. "Ce vieux carton à chapeau, que vous avez enfoui hier: ça vous ennuierait de le déterrer? J'étais un peu perturbée et, en fait, ce n'était pas vraiment nécessaire de le cacher."
"Mais, bien sûr, Mademoiselle Anne. Voyons, où est-ce que je l'ai enterré hier, ici ou là-bas?"
Le vieil homme promena son regard autour du jardin.
"Quand je vous ai quitté, vous étiez au travail ici," dit Anne-Christine en montrant un endroit juste aux pieds du régisseur.
"Oui, je sais, mais je suis tombé sur une racine, et comme je ne pouvais pas creuser plus profond, j'ai choisi un autre endroit."
Ruyters regardait partout, désespéré.
"Où peut-il bien être?" questionnait-il. "J'ai retourné la terre d'une grande partie du jardin, vous savez. En fait, je suis passé pratiquement partout et j'ai complètement oublié où j'ai bien pu cacher ce carton…"
Anne-Christine faillit dire à haute voix: "Dieu vous bénisse, Ruyters. J'ai enfin mis un point final à cet étrange chapitre de ma vie."
"…mais, si vous en avez besoin je peux vous donner d'autres chiffons, et le Service en Cristal, lui, est toujours là. Je l'ai sorti du carton, car je n'étais pas très sûr que vous vouliez vraiment vous en débarrasser."
"Moi non plus," murmura Anne-Christine.