Le Service Moscovite 1.3


Traduction: Florence Launay et Françoise Poyet .

1.3.
Quelqu’un sonna à la porte de service. Anne-Christine, qui était de nouveau devenue la Dame du Château et vivait seule, alla ouvrir.
Il n’y avait personne à la porte, mais elle vit une lettre sur le sol. L’enveloppe était impressionnante, avec une inscription qui avait l’air importante et même un cachet de cire. Au dos de l’enveloppe on pouvait lire : "Le Grand-Duc de Transyldavie." Elle alla au salon et ouvrit la lettre.
Elle eut beaucoup de mal à lire l’écriture fleurie du Chef du Protocole du Grand-Duc. "Le Grand-Duc serait ravi de rencontrer la personne qui a rendu le Service moscovite à la Transyldavie après si longtemps ," lut-elle.
La lettre donnait ensuite les détails du trajet jusqu’en Transyldavie et du voyage de retour, d’un repas qui allait avoir lieu et d’un tableau que l’on exécuterait en souvenir de sa participation à la récupération du Service. Un carrosse dans lequel elle devrait voyager dix jours jusqu’en Transyldavie devait arriver au Château de Weezebeecke tôt le lendemain matin.
"Ravi, il l’est certainement!" pensa Anne-Christine. Elle commença aussitôt à réfléchir aux événements futurs, car elle n’avait pas l’intention de laisser cette occasion lui échapper.
"Quelle chance que je n’aie pas encore de serviteurs. Voilà un problème en moins,"pensa-t-elle.
Le château était maintenant en bon état après ses efforts et tous ses vêtements étaient propres et repassés. Elle réfléchit à ce qu’elle pourrait porter au cours de son voyage vers ce pays inconnu. On promettait dans la lettre qu’elle recevrait une nouvelle garde-robe en Transyldavie.
"C’est parfait, je n’aime pas avoir de bagages," songea-t-elle en laissant ses pensées imaginer le voyage qui l’attendait.

Le lendemain, un carrosse bien suspendu pénétra dans l’allée du Château de Weezebeecke. Un des deux cochers sauta à terre et alla sonner à la porte. Anne-Christine sortit aussitôt, verrouilla la porte et rangea la clef parmi les vêtements dans son panier. Elle était sûre qu’elle n’en aurait pas besoin pour plusieurs semaines à venir.
Le cocher voulait placer son panier à l’arrière avec les autres bagages, mais Anne-Christine refusa.
"Je préfèrerais le garder avec moi. Il y a bien assez de place sur le siège dans le carrosse," dit-elle. Le cocher hocha poliment la tête.
"Ou il est muet, ou il ne parle que le transyldavien," pensa-t-elle.
Elle n’eut pas le temps d’y réfléchir longtemps, car les roues du carrosse s’ébranlèrent avec une brusque secousse. Anne-Christine ne put s’empêcher de regarder en arrière jusqu’à ne plus voir que la cime des arbres les plus hauts qui bordaient son allée. Elle essaya ensuite de se résigner à l’idée du long voyage à venir.
Après quelques heures seulement le carrosse s’arrêta à une auberge où il était possible de rafraîchir les chevaux et de boire et manger. La scène se répéta plusieurs fois dans la journée.

Ce fut durant ces arrêts qu’Anne-Christine découvrit que les cochers ne parlaient effectivement que leur langue maternelle. Alors qu’ils parlaient entre eux et chantaient même des chansons mélancoliques pendant les longues et ennuyeuses étapes, ils n’utilisaient que leurs mains pour parler par signes dans les auberges et les gîtes d’étapes .
Ce fut une des raisons pour lesquelles elle eut peu de contacts avec eux, mais cela ne la gênait pas. Elle écoutait leurs duos, et elle avait déjà commencé à en apprendre certaines phrases et à absorber l’atmosphère transyldavienne. Elle commençait aussi à reconnaître certains mots dans leurs conversations, comme "gauche" et "droite", "auberge" et "arrêt." Elle répétait silencieusement ces mots dans sa tête tout en admirant le paysage changeant.

Pendant la majeure partie de la journée, ils longèrent une large rivière.
" L’horizon là-bas est bien plus montagneux et déchiqueté que chez nous, " pensa-t-elle.
Dans la soirée, ils quittèrent la vallée et gravirent une route en lacets, à flanc de colline, pendant des heures. Au crépuscule, lorsqu’ils eurent atteint le sommet, le carrosse s’arrêta.
" Ça alors, je n’ai jamais contemplé une vue pareille, " murmura Anne-Christine.
Loin au-dessous d’eux, on apercevait les feux et les lumières de plusieurs villages. Fascinée par le paysage, elle ne se rendit pas compte que les cochers avaient déjà commencé à décharger. Mais une fois qu’ils lui eurent ouvert la portière, elle vit qu’ils s’étaient arrêtés devant une auberge dont on pouvait lire le nom " Les Deux Versants " sur une pancarte bariolée placée près de l’entrée. L’auberge des " Deux Versants " était un bon lieu de séjour, comme elle put s’en rendre compte les jours suivants où elle eut l’occasion d’en visiter plusieurs autres.
Vers la fin du voyage, le paysage s’apauvrissait de plus en plus et il en était de même pour les auberges. On ne pouvait cependant pas en dire autant des gens : ils étaient enjoués et accueillaient chaleureusement les cochers qui eux, semblaient de plus en plus à l’aise avec le langage à mesure que le voyage progressait.
Anne-Christine eut tôt fait de se rendre compte qu’ils essayaient de lui procurer la meilleure chambre à chaque occasion. Pour amadouer les aubergistes, ils faisaient tinter leurs bourses avec plus de vigueur et le visage des propriétaires ne manquait jamais de s’éclairer après ce genre de geste. Dans l’ensemble, au cours de ces dix journées de voyage, Anne-Christine avait été logée très confortablement.
" Dix jours ? Nous avons sans doute presque atteint notre destination, " se disait-elle de temps en temps en essayant de deviner si elle était déjà en Transylvanie. Ils avaient franchi d’innombrables frontières, mais ceci ne l’éclairait guère car on ne lui avait jamais posé la moindre question ; il suffisait aux cochers de montrer les sauf-conduits signés de la main du Grand –Duc.
L’obscurité les enveloppait et les cochers ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Le clair de lune n’offrait à Anne-Christine qu’un faible aperçu des alentours. Le paysage, qui depuis quelque temps avait été assez désolé, devenait de plus en plus attrayant. Anne-Christine pensa qu’ils devaient approcher du Palais, qu’elle avait essayé de se représenter tout au long du voyage.
A la fin elle s’imaginait un vaste château " plus spacieux que Weezebeecke, mais cependant semblable par la forme, dressé au milieu d’une plaine, avec une large allée bordée d’arbres. " Et elle ne s’était pas trompée dans ses anticipations, à en juger par ce qu’elle découvrit au détour d’un brusque virage à gauche, lorsqu’ils pénétrèrent dans une allée bordée de pins.
En se penchant à la fenêtre elle put voir les dimensions du château. C’était une bâtisse carrée, sans ornements, flanquée d’une tour à chaque coin. Derrière ceux des volets qui étaient ouverts, elle aperçut les barreaux des fenêtres.
" J’aimerais bien dormir dans une de ces tours, " pensa-t-elle. " Plus ce sera haut mieux ce sera. Mon château à moi n’a que des tours décoratives trop exiguës même pour un seul lit. "
Ce fut le Chef du Protocole qui la reçut. Il lui adressa quelques paroles galantes mais Anne-Chrisitine était trop fatiguée pour y prêter attention. En pénétrant dans le Palais elle fut émerveillée.
" Même en une année entière, je n’utilise pas le nombre de chandelles qui brûlent ici en une seule soirée. Tout resplendit, le sol, les murs, les grands escaliers et même les gens qui passent, " se dit-elle.
" Vous devez être lasse après un si long voyage. Voulez-vous boire quelque chose ? " demanda le Chef du Protocole et Anne-Christine répondit d’un bref " oui, s’il vous plaît. "
" Il est tard maintenant. Nous vous attendions un peu plus tôt, mais vous allez avoir une chambre très calme, ainsi vous passerez une bonne nuit de sommeil réparateur. "
" J’espérais dormir dans une des tours du Palais, " avoua-t-elle.
" Eh bien, ce désir est facile à satisfaire puisqu’ici en Transyldavie c’est toujours dans les tours que nous gardons nos trésors. Vous allez même dormir précisément dans la tour où se trouve le Service moscovite. Cela nous a paru l’endroit le plus sûr pour vous loger et c’est, bien entendu, un lieu symbolique. Vous savez, chez nous en Transyldavie, nous mesurons notre estime en fonction de la hauteur. Plus un objet a de valeur, plus haut nous le plaçons, ainsi vous aurez la chambre la plus haute de la tour, plus haute même que celle du service en cristal. "
" Quel grand honneur ! " dit Anne-Christine qui était contente de pouvoir placer quelques mots.
" Et vous aurez votre valet de chambre personnel. Ce sera notre Alexej, qui va vous apporter à boire dans quelques instants. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez le sonner. Malheureusement il faut que je vous laisse maintenant pour aller prévenir le Grand-Duc de votre bonne arrivée. "
Le Chef du Protocole s’inclina et se rendit chez le Grand-Duc.

" Vous allez rencontrer le Grand-Duc aujourd’hui, " dit Alexej le lendemain matin en apportant son petit-déjeuner à Anne- Christine.
" Voilà quelque chose d’intéressant, " dit-elle dans un bâillement, car elle n’était pas très réveillée.
" Mais avant cela, vous allez rencontrer le peintre qui va faire votre portrait dans la chambre des trésors et vous poserez à côté du Service moscovite. Si vous saviez comme nous autres Transyldaviens sommes heureux que cette interminable recherche du Grand-Duc n’ait pas été vaine ! "
" Je suis heureuse moi aussi pour la Transyldavie et pour la récompense considérable qui a été offerte, " répondit Anne-Christine.
Elle bondit hors de son lit, enfila sa robe de chambre et commença à chercher ses vêtements.
" Pas cette robe s’il vous plaît, " dit Alexej en voyant Anne-Christine saisir des vêtements de son choix. " Vous allez recevoir un costume de servante, spécialement choisi pour le tableau. "
" Très bien, " dit Anne-Christine et elle se mit à examiner le contenu de son petit-déjeuner. " Allez donc me chercher mon costume. En attendant, maintenant, je vais me sustenter un peu. "
" Comme il vous plaira, Mademoiselle Anne-Christine, " dit Alexej en s’inclinant, puis il disparut.
Peu après , il était de retour portant des vêtements sur les bras. Anne n’avait pas fini son repas.
" S’il vous plaît, montrez les moi, " demanda-t-elle. Alexej déploya le costume en écartant les bras.
" Ces vêtements sont en fait beaucoup trop riches pour une servante, mais ils feront l’affaire, " dit Anne-Christine. " En particulier ces boutons dans le dos ne sont pas très pratiques. Pourrez-vous m’aider ? "
" Avec plaisir, Mademoiselle, " dit Alexej.
" Avez-vous l’habitude d’être au service des dames invitées ici, Alexej ? " demanda Anne-Christine.
" Je l’ai seulement été pour la femme de l’ambassadeur d’Herzégovine. " Puis il ajouta : " Mais elle avait au moins trois fois votre âge. "
" Qu’êtes-vous donc en train d’insinuer en disant que je suis plus jeune ? J’espère que vous ne vous faites pas d’idées romanesques à mon sujet, n’est-ce pas ? De tels actes ne sont pas permis, je présume, " dit Anne-Christine en dévisageant le jeune valet de chambre avec insistance. " Que se passerait-il si je parlais au Grand-Duc de vos pensées romanesques ? "
" Eh bien… il… il… je crois qu’il me couperait la tête dans la cour intérieure du château, ou peut-être même pire, " bégaya-t-il, visiblement troublé.
" Il vaudrait donc mieux que nous restions bons amis, " conclut Anne-Christine, avec un sourire aimable tout en commençant lentement à dégrafer les boutons de sa chemise de nuit.
Alexej ne savait plus où porter son regard. Ses yeux allaient d’Anne-Christine à la fenêtre jusqu’au moment où elle fut complètement nue. Il la regarda se diriger vers le lit et se laisser tomber en arrière sur l’édredon, les yeux clos.
" Alexej, agenouille-toi devant moi, " dit-elle et Alexej s’exécuta sur le champ.
" Pas si loin, espèce d’imbécile. Comment crois-tu que tu vas pouvoir me toucher à cette distance ? " s’exclama-t-elle. " Et je suis pleine de désir ce matin. "
Lentement elle écarta les jambes tout en fixant le visage incrédule du valet.
" Commence par me lécher, Alexej, et pendant ce temps-là je vais te raconter quelque chose. "
Sans répondre, le serviteur s’approcha et prit position entre ses jambes pour répondre à sa requête.
" Mon cher Alexej, " dit Anne-Christine comme si elle était en train de lire une lettre, étendue sur le dos, " tu es jeune comme moi. Nous avons toute la vie devant nous ! J’ai atteint plusieurs buts au cours de ces dernières semaines, même si cela n’a pas toujours été de façon convenable. Les gens convenables restent pauvres, c’est ce que j’ai appris et c’est pourquoi je vais continuer à mettre mes plans à exécution. Je peux te rendre riche toi aussi, si tu fais exactement ce que je te dis, dès maintenant et jusqu’à mon départ. Je ne te demande qu’une chose c’est de ne pas poser trop de questions, c’est tout. Contente-toi de n’être pas trop curieux et d’oublier tout ce que tu vois. Tu n’as pas besoin d’avoir peur du Grand-Duc. Il ne saura jamais rien. Demain je laisserai une petite bourse sous mon oreiller pour te remercier de ton aide… . Dis-moi Alexej, est-ce que le Grand-Duc est bel homme ? "
Alexej releva la tête et regarda Anne-Christine.
" C’est l’homme le plus laid du monde et, en plus, c’est un grossier personnage. Il faut que je vous prévienne à son sujet car il ne vous a fait venir que pour assouvir ses instincts lubriques. "
" Je me doutais déjà de cela, Alexej. Je connais les hommes maintenant, mais en tout cas, merci. S’il te plaît, continue encore un peu. "
" Il faut que m’arrête maintenant, Mademoiselle Anne-Christine, le peintre va vous attendre, " dit Alexej après un laps de temps qu’Anne-Christine était incapable de calculer.
Tout en se redressant, elle le complimenta : " Heureusement que tu y as pensé, Alexej. Je l’aurais complètement oublié. S’il te plaît, aide moi à mettre ma robe, comme promis, " demanda-t-elle et elle plissa les paupières en tournant son regard vers le soleil levant.
Non seulement Alexej l’aida à s’habiller mais il lui lissa aussi les cheveux et lui fit une coiffure élégante sur laquelle elle disposa sa coiffe de dentelle. Il l’accompagna jusqu’à la porte, puis jusqu’aux escaliers qui menaient à l’étage inférieur. Sur le palier se tenait un inconnu de petite taille qui manifestement l’attendait. Il était encombré d’une quantité considérable de bagages.
" Voici le peintre Borislov, l’artiste le plus doué de notre pays, " dit Alexej.
Anne-Christine tendit le bras pour lui offrir sa main. Borislov la baisa sans la toucher.
" Je suis très honoré d’être autorisé à peindre le portrait de la plus grande héroïne de Transyldavie, " dit le petit homme chauve. Anne-Christine essaya de réprimer un fou-rire.
" Tout le plaisir est pour moi, Monsieur Borislov, " dit-elle en s’efforçant d’avoir l’air le plus naturel possible.
" Si vous voulez bien me permettre de vous montrer le chemin. Il y a encore quelques marches à descendre jusqu’à la chambre des trésors. "
" Bien volontiers, Monsieur, " dit Anne-Christine qui était soudain impatiente de revoir le Service en cristal.
Le peintre descendit les marches avec précaution, encombré de ses volumineux bagages. L’escalier s’arrêtait devant une porte en chêne massif gardée par deux sentinelles. Les deux hommes saluèrent lorsque Borislov et Anne-Christine atteignirent la dernière marche et l’un d’eux ouvrit la porte à l’aide d’une grosse clé.
" Je vais entrer le premier, car il n’y a pas de lumière à l’intérieur. On n’allume les chandelles que lorsqu’il y a des visiteurs dans la salle des trésors et cela ne se produit que très rarement, " expliqua le garde, tandis qu’il pénétrait dans la pièce, un candélabre à la main. De là où elle se trouvait, Anne-Christine vit la salle devenir de plus en plus éclairée au fur et à mesure que de nombreuses chandelles étaient allumées les unes après les autres.
" Donnez-vous la peine d’entrer, " dit le garde une fois sa tâche accomplie. " Je vais fermer la porte derrière vous selon les instructions de mon maître. "
" Je comprends tout à fait, " dit Borislov et il se saisit des malles qu’il avait posées sur le sol en attendant.
Anne-Christine entra la première. Il lui fallut quelques instants pour habituer ses yeux à l’éclatante lumière, car non seulement il y avait un grand nombre de chandelles allumées mais leur éclat était reflété à l’infini par tous les objets précieux d’or et d’argent qui s’entassaient en désordre devant elle. Sur une petite table, près d’une pile de tapis persans, le Service moscovite était étalé avec soin, seul signe visible de l’importance accordée à cet ensemble unique. Anne-Christine se précipita pour prendre la carafe qui trônait au milieu et la porta avec ferveur à ses lèvres. Puis une fois la porte fermée à clé, elle la remit en place.
" Maintenant que nous sommes seuls, j’ai une proposition à vous faire, " dit Borislov en regardant Anne-Christine d’un air à la fois expectatif et incertain.
" De quelle sorte de proposition s’agit-il pour que vous ayez besoin d’être seul avec moi ? " demanda-t-elle en pesant ses mots.
" S’il vous plaît, Mademoiselle, ne vous méprenez pas sur mes paroles. Je vous fais ma proposition parce que, plus que quiconque, vous connaissez la beauté et la valeur du Service moscovite. Vous n’avez pas encore rencontré le Grand-Duc, mais vous allez très vite vous rendre compte que ce serait une grave erreur que de laisser un tel barbare garder la propriété de ce chef-d’œuvre. "
" Y risqueriez-vous votre vie ? " demanda carrément Anne-Christine.
" Certainement , si cela servait à sauver une belle et noble œuvre d’art. Je vais vous expliquer mon plan. Cette malle a un double fond et en ce moment même il contient une copie du Service entre ses deux cloisons. Quand le portrait sera terminé, j’échangerai les deux services. Vous vous en rendrez sûrement compte et je vous supplie de ne pas me trahir. "
" Cela peut me coûter la vie à moi aussi, si la supercherie est découverte, " dit Anne-Christine, qui détestait ce plan depuis le début. " Je n’ai donc pas du tout l’intention d’y participer. "
" Il y a un risque, j’en conviens, mais au nom de l’art je vous conjure d’accepter. "
" Monsieur Borislov, vous ne me connaissez que depuis quelques minutes. Vous êtes vraiment très courageux de me mettre dans votre confidence à propos de votre plan si imprudent, mais l’honneur de l’art ne signifie rien pour moi, à moins que cela ne me rapporte quelque chose. Vous feriez mieux d’abandonner cet audacieux projet le plus tôt possible et de commencer le travail pour lequel nous sommes ici. "
" Mais… ce n’est pas possible… jamais plus je n’aurai cette chance, " bredouilla-t-il tout bouleversé. " Cette œuvre d’art doit quitter ce château d’une façon ou d’une autre. "
" Ne comptez pas sur ma coopération. Absolument pas, " déclara Anne-Christine, qui commençait à être agacée. " S’il vous plaît, préparez vos instruments pour que nous puissions commencer. "
Passablement confus, Borislov se mit à défaire ses malles, remplies d’instruments d’artiste.
La pose dura des heures et des heures, et le bruit de la clé tournant dans la serrure fut donc une surprise bienvenue.
" Le Grand-Duc de Transyldavie, " annonça solennellement la sentinelle et un homme pénétra dans la salle des trésors.
Anne-Christine ne vit pas tout de suite son visage et, en raison de ses riches vêtements, il était difficile de dire s’il était gros ou mince. Mais une fois qu’il fut dans la pièce, son visage hideux laissait présager le pire. Il s’approcha directement de la toile sur laquelle Borislov avait esquissé quelques traits.
" Vous n’êtes certainement pas le peintre le plus rapide du monde, n’est-ce pas ? " demanda le grand-duc d’un ton sarcastique. " Vous êtes sûr qu’il sera terminé ce soir ? "
" Je me conformerai à votre souhait, Votre Majesté, " dit Borislov sans enthousiasme.
" Eh bien, jolie mademoiselle, je viens vous inviter à passer le reste de l’après-midi avec moi et à participer au dîner de ce soir. "
" Quel insigne honneur, Votre Majesté, " dit Anne-Christine qui exécuta une modeste révérence tout en étalant sa robe de chaque côté.
" Allons-y. Borislov, posez vos pinceaux et revenez ce soir vers huit heures. "
Avec d’énormes enjambées, le Grand-Duc se dirigea vers la sortie, tandis que les autres s’efforçaient de le suivre. Sans s’arrêter, le Grand-Duc gravit les escaliers puis s’engouffra le long de plusieurs corridors. Anne-Christine essayait de marcher à la même allure et très vite le peintre fut hors de vue. Elle n’en fut nullement préoccupée, puisque, de toute façon, il était libre pendant quelques heures.
" Entrez, Mademoiselle, " dit le Grand-Duc une fois arrivé devant une porte richement sculptée, qu’il ouvrit pour laisser passer Anne-Christine. Elle entra et vit qu’il n’y avait aucun meuble dans la pièce. Le sol était entièrement recouvert de tapis et de coussins.
" Il n’y a personne ici, mais nous allons arranger ça. Asseyez-vous donc. "
Anne s’installa sur l’un des coussins et le Grand-Duc s’assit à ses côtés. Il frappa dans ses mains et de chaque côté de la salle des portes s’ouvrirent pour laisser entrer des musiciens. Ils avaient des instruments à corde et d’autres à vent, qu’Anne-Christine n’avait jamais vus auparavant. Ils formèrent un cercle autour du Grand-Duc et se mirent à jouer.
" Et les danseurs ! " s’exclama le Grand-Duc. " Qu’est-ce qu’ils attendent ? "
A ce moment entrèrent une douzaine de danseurs et de danseuses, certains vêtus, d’autres dévêtus. Ils se placèrent à l’intérieur de cercle et commencèrent à se mouvoir au rythme lent de la musique. Le Grand-Duc attira Anne-Christine près de lui et elle mit sa tête sur son épaule.
" Que Tanya vienne ici, " cria le Grand-Duc et l’une des danseuses s’avança vers lui et Anne-Christine.
" Comment la trouvez-vous ? " demanda-t-il à Anne-Christine.
" Elle est vraiment très jolie, Sire, " dit-elle de la petite danseuse qui ne portait aucun vêtement.
Le Grand-Duc sourit et se mit à déboutonner son pantalon et Tanya sut ce qu’elle avait à faire. Il se laissa tomber en arrière entraînant Anne-Christine avec lui et lentement, Tanya se mit à califourchon sur lui et fit comme si elle chevauchait une monture.
" Voilà ce que vous allez pouvoir faire ce soir, " dit le Grand-Duc en tenant le visage d’Anne-Christine près du sien. Elle sentait son haleine qui empestait l’alcool et la pourriture et il sourit d’un air rusé, révélant ses dents manquantes, bien assuré qu’elle ne pouvait rien lui refuser. Quand il pointa sa langue elle ne put que la laisser pénétrer dans sa bouche. Ainsi restèrent-ils enlacés pendant que Tanya procurait longuement du plaisir au souverain.
Au bout d’un moment le Grand-Duc demanda à Anne-Christine : " Vous prenez vraiment du plaisir, n’est-ce pas ? "
" Bien sûr, Sire, mais j’ai un chagrin que j’aimerais partager avec vous. Un complot est en train de se préparer pour vous voler votre Service en cristal, " dit très vite Anne-Christine.
Le souverain frémit.
" Est-ce bien vrai ? " demanda-t-il. " Je ne suis pas homme à me laisser berner, vous savez. "
" Si vous envoyez quelqu’un prendre les deux malles de Borislov dans la salle des trésors, je vous prouverai sur le champ que j’ai raison, " dit Anne-Christine en se dégageant de l’étreinte du Grand-Duc.
" Eh bien, d’acccord. Andrey et Philic, allez à la salle des trésors et demandez aux gardes de fouiller les malles du peintre, " ordonna-t-il à deux des danseurs. " J’ai hâte de savoir si vous dites la vérité, chère Mademoiselle, " dit le souverain, pressant Tanya plus fort contre lui. Et sans prêter plus d’attention à Anne-Christine, il prit son plaisir avec la danseuse qui paraissait apprécier les jeux impudiques auxquels il se livrait avec elle.
Il la rejeta sur le côté lorsqu’apparut un garde portant une malle d’une main et un verre du Service moscovite de l’autre.
" Je vois qu’en fin de compte vous aviez raison, " dit le Grand-Duc. " Il y a là quelque chose d’anormal. "
" Il y a une cachette secrète dans le fond qui renferme une copie du Service, Votre Majesté, " dit le soldat.
" Je le sais, " répondit sèchement le souverain. " Remportez tout cela et remettez ces objets à l’endroit exact où vous les avez trouvés. Ce soir, je montrerai à ce drôle de petit artiste quelle est la puissance et l’autorité d’un souverain transyldavien. "
Puis, avant de quitter la pièce, fort en colère, il chuchota à l’oreille d’Anne-Christine : " Je viendrai vous retrouver dans la salle des trésors, mais n’en dites mot à personne. "
Laissée seule, Anne-Christine dit aux musiciens, qui avaient cessé de jouer, de continuer.
" Andrey, déshabille-toi et viens près de moi, " ordonna-t-elle au jeune et beau danseur. " Et toi aussi, Philic. Et vous, les autres, vous allez tous faire l’amour les uns avec les autres, " lança-t-elle, triomphante, au reste des danseurs, qui, docilement, se débarrassèrent de leurs légers atours et s’allongèrent près d’elle.
Anne-Christine se mit à caresser les corps de ses deux danseurs tout en jouissant du spectacle des autres, ainsi obligés de se faire l’amour les uns aux autres. Les musiciens continuèrent à jouer et le temps passa.
" Le Grand-Duc vous attend pour le dîner, " dit Alexej, découvrant Anne-Christine dans une position délicate.
" Entendu, je viens, " dit-elle et elle se dégagea prestement des bras de son partenaire, puis elle rajusta sa robe, son tablier, sa coiffe, jusqu’à ce qu’elle eût retrouvé une allure à peu près décente.
" Pour le dîner, le Grand-Duc a choisi pour vous une robe toute brodée de pierreries, " lui dit le valet de chambre.
" Je te permets de m’aider de nouveau à m’habiller, " répondit Anne-Christine en prenant le chemin de la tour avec Alexej.
" Pourrais-tu me procurer une corde et une potion qui fasse dormir, Alexej ? " demanda-t-elle lorsqu’ils eurent atteint sa chambre.
" Vous ne dormez pas bien ? " demanda-t-il, anxieux.
" Ne pose pas trop de questions. Est-ce que tu peux, oui ou non ? "
" Bien sûr que oui, je peux très bien m’en occuper. "
" Eh bien, va les chercher. Cette fois, je vais m’habiller seule, " dit-elle en posant son regard sur la robe préparée pour elle.
Elle eut quelque difficulté à enlever son costume de servante et il lui fallut un certain temps pour revêtir ses riches atours.
" Quel décolleté profond ! " pensa-t-elle. " J’espère qu’il tiendra toute la soirée. "
Elle jeta un coup d’œil au miroir et vit comment lui allait cette robe très ajustée. Satisfaite, elle tourna son attention vers le lourd collier, lorsqu’Alexej réapparut tenant à la main un flacon et une corde.
" Verse l’élixir dans mon flacon de parfum, de façon à ce que je puisse le garder avec moi, " dit-elle en le suivant des yeux dans le miroir.
Lorsqu’il eut fini, elle dit : " Et maintenant, tu vas quitter cette pièce quelques instants. Il vaut mieux que tu ne voies pas ce que je vais faire. Personne ne t’a vu avec ces objets, j’espère ? "
" J’y ai fait très attention, Mademoiselle, " dit Alexej. Il se retourna et quitta la pièce.
Moins d’une minute plus tard, Anne-Christine réapparut. Ensemble ils se rendirent au dîner que le Grand-Duc avait organisé pour elle.
Le souverain était déjà à table et avait même commencé à manger avant l’entrée d’Anne-Christine.
" Vous êtes bien jolie et je brûle d’impatience. Mais d’abord il nous faut nous restaurer ; le repas est déjà servi. "
Il souleva le couvercle de quelques terrines qui révélèrent une abondance de gibier. Le Grand-Duc prit un faisan et entreprit d’y mordre dedans avec les quelques dents qui lui restaient, tout en poussant des grognements et en faisant claquer ses lèvres, tandis que son coude trempait dans une écuelle de potage sans qu’il s’en rende compte.
Son invitée préféra commencer par un morceau de viande bien grillé qu’elle se mit à croquer avec toute la vigueur possible. Une bonne moitié du vin blanc qu’elle buvait dégoulinait sur le devant de sa robe.
" C’est bon, n’est-ce pas ? " demanda le souverain en savourant avec volupté le spectacle sous ses yeux.
" Il me faut de la sauce, " dit Anne-Christine en plongeant la main droite dans la saucière.
Avant qu’elle ait pu se lécher les doigts, la sauce éclaboussa la table et sa somptueuse robe. Elle secoua la main pour faire tomber ce qui restait et souleva trois autres couvercles, après quoi elle choisit un poulet tout suintant de graisse.
" Oh, ça c’est bon, " dit le souverain repus.
Anne porta la volaille à ses dents et en arracha un gros morceau de chair qu’elle se mit à mâcher avec lenteur, tout en fixant des yeux son compagnon. Celui-ci enfourna dans sa bouche autant de truffes qu’elle pouvait en contenir et, au fur et à mesure qu’il mâchait, il en retombait une bonne partie.
" Qu’avez-vous l’intention de faire de moi ce soir ? " demanda Anne-Christine.
" Je verrai, " grommela le souverain. " Si vous êtes encore vierge, vous ne le serez certainement plus demain. "
" Mon corps vous appartient, tant que je suis sous votre toit, " dit-elle.
" Oh, il en est ainsi ? " demanda le Grand-Duc entre deux gorgées de vin. " Alors je veux que vous répandiez ce dessert sur vos cheveux. "
Sans hésiter, Anne-Christine saisit le plat à gâteau et se le renversa sur la tête. Tous deux éclatèrent de rire.
" Oh, vous êtes la femme de mon cœur, " dit le Grand-Duc. " Vous allez me manquer après votre départ demain matin. "
" C’est la même chose pour moi, " dit Anne-Christine, portant une nouvelle bouteille de vin à ses lèvres.
" Peut-être deviendrez-vous ma femme un jour, " dit le souverain, fasciné par le vin qui ruisselait sur le menton de son invitée, puis dans l’intérieur de sa robe. " Mais vous allez devoir prendre un bain avant que ce fichu peintre puisse terminer sa dernière tâche. "
" C’était bien mon intention, " dit Anne-Christine.
Elle se leva et fit un gracieux sourire, puis se dirigea vers sa tour où elle trouva Alexej debout devant sa porte.
" Il faut vraiment que je prenne un bain, " dit-elle et il lui indiqua le chemin.
Dans la salle de bains elle insista pour qu’il reste avec elle.
" Oh, Alexej, " dit-elle. " Tu ne peux pas savoir comme tout ceci me plaît. Tous ces hommes, et qui font tout ce que je veux. Rien que cela me donne envie d’être Grande-Duchesse. "
Alexej fit couler le bain tandis qu’Anne-Christine se débarrassait de sa robe toute poisseuse.
" Et, bien sûr, il y a le Service en cristal, " continua-t-elle. " Je veux le récupérer et je vais faire tout mon possible pour y parvenir. Mais je ne veux pas que le Grand-Duc pose ses mains dégoûtantes sur moi. Je n’ai eu aucun plaisir cet après-midi. J’étais tellement écœurée que j’ai même trahi ce pauvre Borislov pour me libérer de ses étreintes. "
" Vous allez trouver une solution, " dit le valet de chambre, plein de confiance en elle. " Je suis sûr que vous avez déjà pris quelques mesures. "
" Tu es futé, Alexej, et tu as été pour moi un assistant bon et serviable. N’oublie pas de venir chercher ta bourse demain, mais uniquement lorsque le carrosse ne sera plus visible, pas avant. "
Anne-Christine se laissa glisser dans l’eau chaude et apaisante du bain.

Lorsqu’Anne-Christine et Borislov se retrouvèrent à l’entrée de la salle des trésors, elle comprit que le Grand-Duc y était déjà depuis un certain temps. Borislov entra sans se douter de rien et l’artiste et le modèle se remirent au travail. Ce ne fut que tard dans la soirée que le tableau fut achevé, même si la peinture n’était pas encore sèche.
" Voici venu le moment d’échanger les services de cristal et je prie le ciel que vous ne me trahissiez pas, " dit le peintre, extrêmement nerveux.
" C’est déjà fait, mon cher Borislov, " dit le Grand-Duc, surgissant de derrière un énorme coffre.
En un instant le visage de Borislov devint livide.
" Il ne vous reste plus qu’à frapper à cette porte et à sortir. Le garde sait ce qu’il a à faire. " Ce furent les dernières paroles du souverain à l’artiste. Il se tourna ensuite vers Anne-Christine.
" Voilà un bien pénible voyage qui l’attend, " dit-il avec un large sourire. " Mais n’en parlons plus, je veux prendre mon plaisir à nouveau. Il y a du vin en abondance. Commencez par nous remplir un verre à chacun pendant que je me déshabille. "
Anne-Christine choisit deux grandes coupes et les remplit en tournant le dos au souverain.
" Vous m’avez autorisée à vous satisfaire de la même manière que Tanya cet après-midi, " dit Anne-Christine en lui tendant l’un des hanaps dorés.
" D’abord le vin, puis les femmes. Ça c’est la vie ! " s’écria-t-il et il but la coupe d’un seul trait. " Bois à ma santé et à cette mémorable nuit, " ordonna-t-il et Anne-Christine vida elle aussi sa coupe d’un seul trait.
" Je vais les remplir à nouveau et tu peux te débarrasser de ce stupide costume de servante, " dit-il en se relevant et en se dirigeant vers la bouteille.
Anne-Christine eut des difficultés à atteindre les boutons dans son dos. Son déshabillage progressait lentement et le souverain riait en observant ses gestes maladroits, tout en versant le vin dans les coupes. Elle n’avait encore défait que la moitié des boutons quand il se laissa retomber sur ses coussins, renversant la plus grande partie du vin qui remplissait son hanap.
" La nuit est longue et, pour une fois, je sens que j’ai tout mon temps, " dit le Grand-Duc de bonne humeur.
Lorsque le dernier bouton fut défait, Anne-Christine laissa glisser sa robe noire sur le sol et pour la première fois dévoila son corps nu au souverain dévêtu. Il s’allongea sur les coussins et l’observa d’un œil ensommeillé tandis qu’elle plaçait ses mains sur son cou et se tournait en minaudant pour exhiber toutes les parties de son corps. La dernière chose dont il se souvint fut le moment où s’approchant lentement de lui, elle l’enjamba pour s’apprêter à lui faire l’amour.
A ce moment il sombra dans un profond sommeil et ne s’éveilla même pas lorsqu’Anne ouvrit bruyamment le volet rouillé de l’unique fenêtre, laissant l’air frais pénétrer dans la chambre aux trésors, pour la première fois depuis de longues années.

Le lendemain matin, ils furent tirés du sommeil par un garde qui martelait la porte.
" Votre Majeté, il est temps de vous lever. Vous êtes attendu, Votre Majesté, " s’exclama-t-il.
Le Grand-Duc s’éveilla le premier et laissa Anne-Christine glisser hors de ses bras. Il enfila ses vêtements à la lueur vacillante de quelques chandelles qui avaient survécu à la nuit. Anne-Christine ouvrit les yeux plus lentement.
" Dépêchez-vous. Je n’ai pas de temps à perdre. Je suis tout habillé et je ne peux pas vous attendre plus longtemps. Vos vêtements sont en haut. Hâtez-vous donc de monter les escaliers. Les gardes ont l’habitude des femmes nues dans ce château ! "
Anne-Christine se leva sans se presser et tituba jusqu’à la porte à la suite du Grand-Duc. Le souverain donna quelques coups brefs à la porte et instantanément celle-ci s’ouvrit. Une fois dehors, il souhaita très vite un agréable voyage à Anne-Christine, puis il disparut.
Encore à demi endormie, la jeune femme parvint jusqu’à la porte de sa chambre où elle trouva le fidèle Alexej qui l’attendait.
" Je vais rentrer la première, Alexej. Tu pourras me suivre un peu plus tard quand je t’appellerai, " lui dit-elle.
Quelques instants plus tard, Anne-Christine l’appela et Alexej resta béat d’admiration devant cette jeune femme totalement dévêtue devant lui.
" Voici ta corde. Tu vas avoir à l’utiliser dans quelques minutes, " dit-elle en lui tendant le rouleau de corde.
Alexej l’accepta quelque peu surpris.
" A quelle heure part mon carrosse ? " demanda-t-elle.
" Dans environ une heure, Mademoiselle Anne-Christine, " dit le serviteur.
" Cela nous laisse tout le temps qu’il faut. Je veux que tu me donnes vingt coups de corde. Ce n’est rien comparé à ce que va subir ce pauvre Borislov. Ne m’épargne pas Alexej, parce que cette fois-ci je suis allée vraiment trop loin. "
Alexej prit son couteau et coupa deux morceaux de corde. Anne-Christine se fit attacher les poignets aux barreaux de son lit pour recevoir le châtiment qu’elle s’était destiné.

Après cela, Anne-Christine parvint à s’habiller au prix de grands efforts. Ses vêtements lui faisaient horriblement mal et c’est le dos très raide qu’elle arriva jusqu’au carrosse qui l’attendait. Après l’avoir installée à l’intérieur, Alexej plaça le panier à côté d’elle.
" Merci pour tout, Alexej, " dit Anne-Christine au moment même où le cocher faisait partir ses chevaux et elle ne fut pas très sûre qu’Alexej eût effectivement entendu ses paroles.
Ce n’est que de longues heures plus tard, lorsque plusieurs milles les eurent éloignés du palais, qu’elle osa ouvrir son panier pour s’assurer qu’il contenait le vrai Service moscovite et non la copie de Borislov.
" Quelle idée stupide, en vérité, que de me donner la chambre immédiatement au dessus de la fenêtre de la salle des trésors et comme j’ai eu de la chance que personne ne voie mon panier suspendu là toute la nuit, " se dit-elle. Elle compta et recompta les pièces du service, avant de les recouvrir à nouveau.
" Et voilà, le Service est redevenu mien, " se rassura-t-elle. " Mais un long chemin nous sépare encore de Weezebeecke ! "