Le Service Moscovite 1.10
(traduction F.Poyet)
" Je vous attendais, " dit le Notaire en voyant arriver Anne-Christine. " Donnez vous la peine d’entrer. "
" J’ai peur d’être un peu perturbée par toute cette histoire, " dit Anne-Christine. " Si je comprends bien, je suis la seule héritière d’Anne-Lise du côté des femmes. "
" C’est bien cela, " répondit posément le Notaire, une fois qu’ile eurent chacun pris un siège de part et d’autre de son bureau. " Anne-Lise était une femme fascinante, mais l’histoire ne commence pas uniquement avec elle. Cet héritage couvre une période beaucoup plus longue, car elle avait elle-même hérité de ces lettres, par ses ancêtres, comme ce sera le cas pour vous dans un moment. "
" C’est ce qui m’inquiète beaucoup, " dit Anne-Christine. " Je ressens cela comme un lourd fardeau. "
Le Notaire chercha les mots qui convenaient : " J’imagine très facilement ce sentiment, mais si j’ai bien compris mon père, et ses informations étaient de première main, c’est un processus inévitable, par lequel il vous faudra bien passer. "
Anne-Christine l’interrompit : " Anne-Lise a remis ces lettres à votre père, mais ni lui ni vous n’étiez au courant de leur contenu. Et pourtant mon aïeule stipulait que j’aurais droit à cet héritage à l’âge de 21 ans ? "
" Exact ; mais Anne-Lise ne vous a jamais connue, car vous n’étiez pas née au moment où elle a rédigé son testament. Elle n’a donc jamais mentionné votre nom dans ses dernières volontés. Elle ne pouvait qu’espérer que ses arrières-petits-enfants potentiels seraient capables de transmettre son héritage dans les règles, " expliqua le Notaire.
Il fallut un moment à Anne-Christine pour comprendre la signification de ces paroles.
" Pourquoi a-t-elle contacté votre père en particulier ? " demanda-t-elle soudain.
A son tour, le Notaire resta quelques instants silencieux.
" Il était le seul notaire du village de Weezebeecke, je suppose, " dit-il. " Et Anne-Lise savait que votre mère, la châtelaine de Weezebeecke, était la seule personne qui ait une chance de perpétuer la descendance féminine liée à cet héritage. "
Cette réponse sembla satisfaire Anne-Christine.
" Bon, alors, est-ce que je peux avoir ces lettres, s’il vous plaît ? " demanda-t-elle. " Il me tarde d’en apprendre les secrets. "
" D’accord, " dit le Notaire. " Mais auparavant… . Est-ce que vous avez conscience de mes efforts pour sauver le Château à votre intention, et du fait que j’ai assumé la charge des dettes de votre père ? "
Anne-Christine le regarda, surprise.
" Mon cher Monsieur, je ne suis pas tout à fait convaincue de cela. Si je ne vous avais pas enfermé, je saurais peut-être maintenant quelles étaient vos vraies intentions. Mais, malheureusement, je vous ai bel et bien séquestré dans les anciennes caves pendant que le Château était mis aux enchères, et je ne saurai donc jamais quelles étaient vraiment ces intentions. "
" Je vais donc être honnête avec vous, Mademoiselle Anne-Christine. Lors de notre première rencontre, vous m’avez proposé une nuit dans votre lit et vous n’avez pas tenu votre promesse. Vous m’avez peut-être berné cette fois-là. Je sais maintenant que je vous sous-estimais. Mais les temps ont changé, car c’est moi qui détiens les lettres que vous voulez si ardemment posséder. Du moins c’est ce que je suppose. " dit le Notaire en pesant chaque mot du discours qu’il préparait de longue date. " Et qui plus est, il vous faudra maintenir une lignée ininterrompue d’héritières féminines ; ce serait donc un grand honneur pour moi de devenir le père de l’enfant à venir. Pourrait-il y avoir une meilleure occasion que votre vingt-et-unième anniversaire ? "
" Cher Maître, " dit Anne-Christine. " Etes-vous en train de dire que je n’aurai pas les lettres de mon arrière-grand-mère, si je ne me donne pas à vous ? "
Elle posa un regard perçant sur son adversaire.
" C’est une façon correcte de définr les choses, " dit-il.
" Très bien. Je sais gagner tout autant que je sais perdre. Vous allez devoir l’admettre dans quelques instants, " répondit Anne-Christine, et elle entreprit aussitôt de dégrafer les nombreux boutons de sa robe blanche, l’un après l’autre.
" Et je peux être sûre que vous me donnerez ces lettres après cela ? " demanda-t-elle.
" Vous me décevez, Mademoiselle Anne. Je ne pense qu’à votre bien-être et ce n’est pas de ma faute si vous êtes irrésistible. Mais pour vous prouver ma bonne foi, je vais chercher ces lettres pour vous dans mon coffre, avant même que vous n’ayez fini de vous déshabiller. "
Il se dirigea immédiatement vers le coffre-fort et revint avec une liasse de lettres.
" Si vous voulez bien signer ici, alors nous pourrons poursuivre le projet que j’ai en tête à votre sujet. "
Anne-Christine avait maintenant défait tous les boutons de sa robe et put signer le reçu sans même quitter sa chaise. Sans dire un mot, elle posa sa plume sur le plumier et jeta un bref coup d’œil aux lettres que le Notaire avait déposées sur le bureau, juste hors de sa portée.
" Vous ne portez jamais de sous-vêtements ? " demanda-t-il étonné.
" Habituellement si, mais j’avais déjà en tête ce que vous venez de me demander. De cette façon il n’était pas nécessaire de me prendre de force, " dit Anne-Christine avec une certaine amertume.
" Eh bien, vous ne m’avez pas fait confiance l’autre fois, vous n’avez donc pas à vous plaindre si je n’ai pas confiance en vous non plus, " dit le Notaire et Anne-Christine ne put qu’acquiescer.
" Cependant mon désir est retombé, cher Maître. Pouvez-vous faire en sorte que les choses se passent rapidement, car cela n’a rien d’un plaisir que de devenir adulte dans ces circonstances. "
Pendant qu’elle parlait, le Notaire avait ouvert les jambes d’Anne-Christine et avait brutalement passé un bras autour de sa taille.
" Je ne me soucie pas de savoir si vous aimez ça ou non, ma belle, " répondit-il, en fixant des yeux son visage pour observer ses réactions. " C’est sur cette chaise que je vais profiter à plein de votre présence et la talentueuse châtelaine de Weezebeecke ferait bien d’accepter de devenir une victime de temps à autre, " dit-il avec un sourire.
Dans le feu de sa victoire, il fit descendre son pantalon.`
" C’est tout ce qu’il y a à voir ? " demanda Anne-Christine quelques instants plus tard.
" Ce qui est petit est toujours beau, " répondit son adversaire sans broncher. " N’essayez pas d’échapper à ce qui vous attend, si c’est ce à quoi vous pensez, " lui dit-il en commençant à mettre sa proposition à exécution.
" Il va donc falloir que j’aie tout simplement recours à la force, " dit Anne-Christine. Elle saisit brusquement un coupe-papier pointu posé sur le plumier et l’enfonça de toutes ses forces dans le postérieur du Notaire. Celui-ci bondit en hurlant de douleur. Tandis qu’il faisait des sauts et des bonds à travers la pièce, Anne-Christine s’empara prestement des lettres qui lui revenaient et trouva même le temps de reboutonner sa robe en quelques endroits avant de quitter les lieux.
" Je ne traite pas avec les gens qui essaient de me berner, " dit-elle, mais le Notaire était trop occupé pour faire attention à ses paroles.
Anne-Christine passa le reste de la journée, assise à l’ombre d’un vieil arbre sur une berge du ruisseau de Weezbeecke, plongée dans la lecture des lettres.
" Et tu as dit merci au Notaire ? " demanda Lisabeth, en voyant Anne-Christine revenir à pas lents , tard dans la soirée.
" Il s’en souviendra longtemps, " dit Anne-Christine. " Mais j’ai passé le plus clair de la journée à lire le contenu de mon héritage. "
" Sans le Notaire ? " demanda Lisabeth.
" Oh, arrête de parler de cette espèce d’immonde créature, " dit Anne-Christine. " Est-ce que tu savais qu’Anne-Lise a volé le Service avec l’aide d’un certain Baron de Gosselingue ? "
" Bien sûr que non, " dit Lisabeth. " Mais, s’il te plaît, raconte moi tout. "
Anne-Christine s’allongea sur le divan et commença son histoire :
" Ces Cristaux sont très très anciens, Lisabeth. Il y a quelques lettres que j’’arrive à peine à déchiffrer. Nos arrière-grand-mères ont été sur la piste de ces Cristaux pendant des siècles. D’ailleurs, ces objets sont de trois sortes : le Service à vin, le Globe et un Plateau, le tout en cristal. Le but des conquêtes d’Attila se résumait tout simplement à l’acquisition de l’ensemble de ce trésor. Malheureusement pour lui, il était superstitieux et le Roi des Wisigoths s’est habilement servi de cela, en laissant Attila s’emparer du Globe au moment même où ils lançaient une rude offensive. Le courageux guerrier Hun vit dans cette coïncidence une malédiction attachée aux Cristaux et fut pris de panique. Incroyable, n’est-ce pas? "
" En fait, les hommes seront toujours de grands enfants, " dit Lisabeth. " Ça j’en suis convaincue. "
" Moi aussi, " acquiesca Anne. " Mais, du coup les Wisigoths avaient perdu leur Globe. Attila avait toujours le Service à vin et l’Empereur de Rome était en possession du Plateau, sur lequel l’ensemble des objets devait être posé. Quant à nous, nous avons le Service et le Globe, mais le Plateau fait encore défaut. "
" Et, je n’en doute pas, tu veux y mettre la main dessus aussi, " dit Lisabeth.
" Euh…, à vrai dire , j’y pensais un peu, " reconnut Anne-Christine.
" Alors, il faut que tu ailles trouver l’Empereur romain et que tu lui demandes poliment de te le remettre, " dit Lisabeth, taquine.
" Oh, s’il te plaît Lisabeth, restons sérieuses, " dit Anne-Christine. " Je pense à la chose depuis longtemps et je crois que je connais la réponse. "
" La réponse à quoi ? " demandan Lisabeth.
" La réponse concernant l’endroit où se trouve le Plateau ! " s’écria Anne-Christine. " Je l’ai même déjà vu ! "
" Et où ça ? " questionna Lisabeth.
" Dans la salle des trésors du Grand-Duc. Mais je n’y ai guère prêté attention. Et j’ai encore moins pensé à le voler. "
Anne-Christine se tut et Lisabeth connaissait assez bien son amie pour se rendre compte qu’elle n’allait plus penser qu’à réparer son erreur.
" Parle moi de ce Baron que tu as mentionné tout à l’heure, " demanda Lisabeth quelques instants plus tard, désireuse de changer le cours des pensées d’Anne-Christine et sa question fit sursauter la jeune fille.
" Oh oui, bon, Anne-lise parle d’un certain Baron de Gosselingue rencontré à Moscou. Il lui avait dit qu’il connaissait l’existence et la localisation des Cristaux dont elle avait tellement entendu parler dans les lettres de ses ancêtres. Il avait même pu lui dire comment s’en emparer. "
" Exactement comme avec le Globe de Govert, " s’exclama Lisabeth.
" Et il y aura encore d’autres similarités, " dit Anne-Christine. " Anne-Lise fut très surprise de rencontrer un Baron qui semblait en savoir si long sur elle, mais néanmoins elle se servit de ce qu’elle avait appris pour voler Le Service en Cristal lors du bal en l’honneur de l’anniversaire du petit Tsarévitch. Il lui suffisait d’attirer l’attention générale en perdant sa jarretière. A ce moment-là le Baron devait cacher les Cristaux dans le grand lustre pour venir les récupérer plus tard. Et, d’après Anne-Lise, c’est ainsi que tout s’est passé. Les gens ont fouillé toute la salle de bal, mais n’ont pas pensé à regarder au dessus de leur tête. Anne-Lise fut la première à pénétrer dans le Palais et put ainsi emporter les Cristaux, car elle était la maîtresse du Tsar, tu sais. "
" Je veux bien le croire, " dit Lisabeth. " Mais est-ce qu’elle n’a jamais partagé les Cristaux avec le Baron ? "
" Non, leur relation était plutôt… " Anne-Christine cherchait ses mots.
" Plutôt celle d’un couple de rivaux ? " suggéra Lisabeth.
" Oui, je suppose, " dit Anne-Christine. " Et c’est quelque chose qui t’est familier, pas vrai ? "
" Ce n’est pas très difficile à deviner, " dit Lisabeth. " Et, est-ce qu’il ne s’est pas passé quelque chose là-bas à Moscou, dont tu as été témoin toi aussi récemment ? "
" En fait… non, " dit Anne-Christine. " Anne-Lise et le Baron se sont disputés quelque temps et par dépit, le Baron a séduitt sa fille. "
" Alors, il est peut-être le père de Govert ! " s’écria Lisabeth.
" Si j’en juge par sa personnalité, c’est certainement lui, " confirma Anne.
Dix jours plus tard, Anne-Christine arrivait en Transyldavie. Elle avait gardé le laissez-passer du Grand-Duc, ce qui lui avait facilité le passage des frontières. Au cours de son premier voyage, elle avait fait très attention à l’itinéraire et avait donc pu se resservir de ces observations. Elle s’était même arrangée pour passer les nuits dans les mêmes auberges et avait fait tinter sa bourse partout où elle avait vu les cochers le faire.
Dans l’ensemble, son voyage s’était déroulé sans encombres et elle pouvait maintenant guider son cheval le long de l’allée d’arrivée au Palais du Grand-Duc. Fatiguée mais contente, elle sauta de sa monture et donna son nom à la sentinelle, qui gardait l’entrée du Château.
Le soldat fut visiblement surpris lorsqu’il comprit qu’il avait sous les yeux la Détentrice du service moscovite.
" Je vais annoncer votre arrivée, Mademoiselle Anne-Christine, " dit le soldat. " Donnez vous la peine d’entrer, il ne faut pas que vous restiez dehors. "
Une fois qu’elle fut à l’intérieur, il ne fallut pas longtemps avant que l’Emissaire du Grand-Duc arrive pour l’accueillir à sa façon.
" Votre venue a-t-elle un but particulier, Mademoiselle ? " demanda-t-il après quelques instants.
" Non, non, je passais juste dans les environs. La Transyldavie est presque devenue ma deuxième patrie, " dit-elle, en mentant effrontément.
" Quel plaisir que d’entendre cela, " acquiesca l’Emissaire , très affable. " Et je ne doute pas que le Grand-Duc sera enchanté de savoir que vous êtes de retour. "
" Certainement, et je dois demander une petite faveur à sa Majesté, mais je préférerais en parler avec lui personnellement, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Il s’agit d’un sujet très personnel, " ajouta Anne-Christine.
" Je vais donc organiser un rendez-vous avec notre Souverain, " dit l’Emissaire. " De plus, je vais m’occuper de vous procurer un serviteur personnel. Alexej avait-il satisfait vos désirs la dernière fois ? "
" Oh oui, " dit Anne en rougissant jusqu’aux oreilles. " Il a été très… serviable. "
" Très bien, alors c’est tout arrangé, " dit l’Emissaire. " Si vous voulez bien attendre ici quelques minutes, je vais libérer Alexej de ses occupations. Il viendra vous retrouver et vous pourrez compter sur lui pendant tout votre séjour ici. "
" Merci infiniment, " dit Anne et elle lui tendit sa main à baiser avant de le laisser partir.
" Je voudrais à nouveau vous demander une faveur, mais cette fois-ci je vous donnerai quelque chose en retour, " dit Anne-Christine au Grand-Duc, lorsqu’elle de retrouva seule avec lui, le lendemain.
" Dites moi d’abord ce que j’aurai à y gagner, " répondit le Grand-Duc, en vrai homme d’affaires.
" Je vous procurerai des moments de plaisir tels que vous n’en avez jamais connus jusqu’ici, " dit-elle.
" Vous êtes une allumeuse ! Ne me faites pas rire, Anne ! Qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez surpasser mes expériences antérieures ? "
Le Grand-Duc se tenait le ventre pour l’empêcher de trop ballotter.
" Vous êtes prodigieuse ! " voulut-il ajouter, mais, à sa grande surprise, il se rendit compte en voyant l’expression d’Anne-Christine, qu’elle était parfaitement sincère. Son assurance rendit le Grand-Duc hésitant.
" Vous ne voulez pas dire que vous avez vraiment l’intention de me faire vivre quelque chose que je n’ai jamais vécu auparavant ? " demanda-t-il, intrigué.
" Certainement, Sire, et je m’arrangerai pour y parvenir, " dit Anne-Christine, pleine d’assurance.
" Quelle étrange fille vous faites, " dut reconnaître le Grand-Duc. " Vous êtes la Gardienne de mes Cristaux et vous transformez le moindre repas en orgie, mais j’ai encore quelques doutes sur vos autres qualités. " Le Souverain cherchait ses mots. " J’admire votre courage, Anne, " finit-il par dire. " Et si vraiment vous arrivez à me donner du plaisir comme je n’en ai jamais eu auparavant, je vous récompenserai avec un objet de votre choix, pris dans ma salle des trésors, du moment qu’il ne s’agit pas du Service moscovite que vous m’avez donné. "
" C’est très généreux à vous, vraiment, " répondit Anne-Christine qui comprit ainsi qu’il ne s’était pas rendu compte de la disparition du vrai Service, depuis son dernier séjour au Palais. " Ce soir, nous nous retrouverons dans la salle des trésors pour un souper à deux, " dit-elle avec aplomb.
" Marché conclu, " dit le Grand-Duc. " Mais, au fait, quelle était la faveur que vous vouliez me demander ? "
" Cela n’a plus d’importance, Sire, " répondit Anne-Christine, arborant un sourire digne de la Joconde. " Du moment que je peux choisir un objet dans votre salle des trésors, ce soir. "
" Alexej, " dit Anne-Christine. " J’ai besoin de toi à nouveau. "
" Vous n’avez qu’à parler. Que puis-je faire pour vous ? " dit le valet.
" Ce soir je dîne avec le Grand-Duc et j’ai donc encore besoin de ton somnifère et aussi d’une corde, " dit Anne-Christine.
" Exactement comme la dernière fois ? " demanda Alexej.
" Exactement ! " répondit Anne-Christine, et dans l’heure qui suivit elle était en possession de ces deux objets.
Le Grand-Duc n’avait pas oublié son rendez-vous et avait fait préparer un dîner au milieu de la salle des trésors. Comme la première fois, une abondance de chandelles illuminaient la pièce dans toutes les directions, et se reflétaient sur une foule d’objets étincelants.
" Je vais vous servir à boire, Sire, " dit Anne-Christine, conscient que ce geste apparemment insignifiant allait plonger le souverain dans le sommeil pendant le cours du dîner.
Dès qu’elle le vit piquer du nez dans son assiette d’asperges, elle se précipita vers le Plateau de Cristal et l’approcha de la fenêtre. Mais elle s’aperçut qu’il était bien trop grand pour y passer.
" J’en étai sûre, "se dit-elle.
A ce moment-là elle vit que le Grand-Duc commençait à se réveiller et elle fut presque prise de panique. Elle eut juste le temps de cacher le Plateau et de se rasseoir à table, comme si de rien n’était. Lorsque le Grand-Duc rouvrit les yeux, il la vit en train d’essuyer ses doigts graisseux sur sa robe, comme d’habitude. Pendant le reste du dîner, Anne fit de son mieux pour renverser autant de nourriture que possible sur ses vêtements, ce qui eut le don, comme d’habitude, de mettre son convive dans une douce béatitude.
Lorsqu’il eut terminé son repas, il dit : " Maintenant, Anne, à toi de montrer tes talents ! "
Aussitôt, elle grimpa sur la table, chargée de mets divers, et rampa jusqu’à lui, sans se soucier le moins du monde des plats qui étaient sur son chemin. Lorsqu’elle eut atteint l’autre côté de la table, elle commença à défaire la ceinture du Grand-Duc. Puis elle se pourlécha les lèvres, prête à lui faire d’abord une fellation, mais elle s’aperçut juste à temps qu’il était atteint d’une maladie et elle décida tout de go de changer ses plans.
" Pour vous Sire, j’ai en tête quelque chose de très spécial, " dit-elle en reprenant son trajet sur la table. Elle prit une longue baguette de pain, la coupa en deux sur toute la longueur. Elle étala une généreuse couche de beurre sur les deux parties. Ainsi armée, elle arriva à faire ce qu’elle avait voulu faire avec sa langue et ses lèvres.
" Mon doux petit cœur, " dit le Grand-Duc, une fois que ce fut terminé. " Tu sais exactement ce qui me donne du plaisir. "
" Votre plaisir est mon seul but, Sire, " dit fièrement Anne-Christine. " Je peux choisir quelque chose maintenant ? "
" D’accord, ce qui est promis est promis, " rugit le Grand-Duc. " Tu n’as qu’à dire ce dont tu as envie et je le ferai porter à ta chambre. "
" Si vous le voulez bien, j’aimerais mieux l’y porter moi-même, " se hâta de dire Anne-Christine.
" Oh, bon, très bien, " grommela le Grand-Duc. " Mais d’habitude c’est ce pour quoi son faits les domestiques, n’est-ce pas ? "
Les yeux tout brillants de fierté, Anne-Christine décrocha son portrait du mur et porta le lourd tableau jusqu’à la porte. Le Grand-Duc s’était levé, lui aussi, et ils se dirent au-revoir pour le moment.
" Regarde un peu ce que j’ai gagné ! " dit Anne-Christine à Alexej, lorsqu’elle le trouva en train de garder l’entrée de sa chambre.
" Oh, que c’est beau, et c’est à vous maintenant ? " demanda le valet, en lui ouvrant la porte. Anne se glissa à l’intérieur et déposa le tableau contre le mur.
" Eh bien, c’est déjà quelque chose, " dit-elle, toute contente.
" J’espère que le Grand-Duc n’a pas été trop grossier avec vous ? " demanda Alexej, soucieux.
" Doux comme un agneau, " répondit Anne, nonchalemment. " C’est incroyable ce qu’on peut faire avec une simple baguette de pain. "
" Donc, vous avez aimé ça ? Voilà quelque chose que je n’ai pas souvent entendu, " dit Alexej, tout surpris.
" Oh, non pas exactement, " dit Anne-Christine en riant. " Je lui ai donné son plaisir, mais je n’ai pas pensé au mien. Ça t’ennuiera de t’en occuper toi, une autre fois ? La dernière fois tu as été si mignon avec moi, " dit Anne-Christine avec le plus enjôleur de ses sourires.
" Vous pouvez me demander ce que vous voulez, " dit Alexej, quelque peu nerveux.
" La dernière fois, tu m’as fait un peu mal, tu te souviens ? " Anne-Christine continuait à sourire.
" C’est vous qui l’aviez voulu, " dit Alexej, sur la défensive.
" Peut-être, mais aujourd’hui, je veux te faire faire quelque chose, " dit Anne-Christine. " Commence d’abord par te déshabiller. "
Le serviteur commença par enlever sa chemise, puis n’eut plus rien sur le dos, en un clin d’œil.
" Cet élixir soporifique que tu m’as donné avait mieux marché la dernière fois que cette fois-ci, " dit Anne-Christine. " Tu es sûr que la corde est comme il faut ? "
Mais sans attendre la réponse, elle ajouta : " Maintenant, allonge toi sur le lit et mets toi sur le dos. "
Elle trouva le couteau du valet, pour couper de fragments de corde, afin de l’attacher sur le lit. Et, avant même qu’il ait pu s’en rendre compte, il était prisonnier.
" Eh bien, mon cher Alexej, j’espère que tu n’as pas de maladie comme les autres ? "
" Non, Mademoiselle, tout le monde est atteint dans ce Château, car les gens sont obligés de se soumettre à sa Majesté, mais moi… "
" Je sais ce que tu veux me dire, " dit Anne-Christine. " Tu ne peux pas te joindre aux autres. Mais c’est précisément pourquoi mon plan tient toujours bon. "
Elle s’approcha de son portrait et le retourna.
" Est-ce que tu pouvais imaginer cela ? " demanda-t-elle en voyant l’ébahissement d’Alexej, lorsque le Plateau de Cristal devint visible.
Elle détacha le fragile plateau et le plaça sur une petite table. Puis, elle monta sur une chaise pour prendre dans le lustre l’ensemble du Service moscovite.
" Ça, c’est un petit truc que j’ai appris de mon arrière-grand-mère, " s’écria-t-elle triomphante. Puis elle se mit à disposer tous les Verres en cercle, autour de la Carafe, sur laquelle elle posa le Globe pour terminer.
" Vous au moins, vous savez comment atteindre votre but, " furent les seuls mots qu’Alexej, béat d’admiration, put prononcer.
" Ce que tu n’as pas réussi à faire, pendant toutes ces années ! " ajouta Anne-Christine.
" Que voulez-vous dire ? " demanda-t-il.
" Oh, s’il te plaît ! Nous ferions mieux de mettre les choses au point, mon cher Baron Alex de Gosselingue, descendant du grand guerrier Attila, " dit calmement Anne-Christine. " Tu croyais peut-être que je ne remarquerais pas la ressemblance entre toi et ton père, Govert ? Eh bien, tu t’es complètement trompé. Tu lui ressembles énormément, non seulement physiquement, mais aussi dans tes habitudes. Comme ton grand-père , qui lui aussi cherchait à s’emparer des cristaux à Moscou, et ton père qui voulait posséder le Globe, tu as attendu ta chance pour avoir le Plateau de Cristal, en devenant l’un des serviteurs du Grand-Duc. Tu as investi des années et des années dans ce plan et j’ai une petite idée sur la raison pour laquelle tu le faisais. "
" Donc, vous savez maintenant que ces Cristaux ont des vertus aphrodisiaques, " dit Alex de Gosselingue.
" C’est quelque chose dont j’ai eu conscience, bien avant de lire les lettres de mon arrière-grand-mère, " dit Anne Christine en riant. " Ces Cristaux ont éveillé en moi beaucoup d’étranges sentiments depuis peu, et je pourrais remplir un livre avec tout ce que j’ai vécu à travers eux. Mais, sans ces Cristaux, tu ne vaux pas chipette, je pense. Ton père a été obligé de trouver d’innombrables échappatoires au lit, tout en essayant désespérément de s’emparer des Cristaux. Est-ce que tous les Gosselingue souffrent de la même déficience ? "
" Depuis des siècles, même avant l’époque d’Attila, " avoua Alexej.
" C’est bien ce qu je pensais, " soupira anne-Christine. " Et nous allons y mettre fin. "
" Oh non, ce serait trop dommage, ça détruirait les Cristaux ! " s’écra Alex, mais Anne commença à se dépouiller de ses vêtements poisseux. Puis elle grimpa sur le lit, où Alex était déjà en train de guérir de sa déficience héréditaire.
Anne ne ressentit aucune douleur, lorsqu’elle sentit un homme la pénétrer pour la première fois.
" Tu ferais mieux de regarder les Cristaux, " dit-elle, sachant ce qui allait se produire. " Non, non ! " cria Alex, mort d’angoisse. Il détourna le visage et fit des efforts désespérés pour se libérer de ses liens.
" Bon, d’accord, ne les regarde pas, " dit Anne-Christine.
Elle se mit à imprimer des mouvements à son corps. Il lui fallut un peu de temps, mais elle finit par faire exploser les Cristaux en un jaillissement de fragments colorés qui tourbillonnèrent sous ses yeux. Et c’est ainsi qu’Alex de Gosselingue et Anne-Christine van den Weezbeecke disparurent ensemble, dans un maelstrom confus d’images, venues du fond des siècles.
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