Le Service Moscovite 1.1

traduction Florence Launay


"Je vais vous dire pourquoi je vous ai demandé de venir me voir", dit Peter Pennickx d'un ton plutôt snob. "En tant que spécialiste de porcelaines et de verreries, vous..."

"De cristaux", corrigea Adrian Aardewerk.

"Eh bien, en tant que spécialiste de porcelaines et de cristaux, vous devriez pouvoir m'aider. J'ai hérité de mon oncle Archibald, qui s'y connaissait probablement bien plus que vous dans ce genre de trucs, tout un tas de vieux machins. J'ai tout ça ici en ce moment et je serais très content si vous y jetiez un coup d'œil."

Les mots "trucs" et "machins"firent frémir Aardewerk, mais Pennickx était un type important et il valait mieux éviter de le contrarier. C'est pour cette seule raison qu'Aardewerk avait accepté son invitation et se retrouvait maintenant en train de siroter un verre de porto beaucoup trop sucré.

"Avant de vous montrer les trucs, je dois vous dire autre chose", continua Pennickx. "Ma bonne m'a quitté, elle vient de se marier, et cela fait déjà une semaine que je suis seul. Il y a quelques jours, j'ai fait venir un serrurier pour qu'il élargisse au maximum quelques trous de serrure. C'était bien sûr en pensant à une nouvelle bonne, mais je suis sûr que ça, vous l'avez compris," dit-il avec un clin d'œil.

"A votre service, Peter, mais je ne suis pas serrurier. Je n'ai aucun avis sur son travail, et, si vous cherchez une bonne valable, vous devriez vous adresser à ma femme. Elle connaît au moins les qualités que doit normalement posséder une bonne. Pour ce qui est de sa beauté, je suis sûr que vous saurez en décider vous-même, donc je ne vois pas pourquoi vous essayez d'utiliser mes connaissances de la porcelaine pour m'impliquer dans vos histoires d'amour."

"C'est parce que vous n'avez pas mon imagination", dit Pennickx, très sûr de lui. "J'ai pensé à tout, et ça ne peut pas rater si vous m'aidez. Vous savez combien c'est difficile pour un homme de mon âge de mettre une jeune fille dans son lit. En fait, ce n'est pas mon premier objectif, puisque je n'ai plus de satisfactions de ce côté-là. Mais je voudrais bien pouvoir donner une bonne fessée au cul de ma bonne."

Pennickx partit d'un gros rire et Aardewerk, ne voulant pas risquer d'offenser son hôte, essaya de rire aussi. Pennickx lui plaisait de moins en moins et il espérait que la torture ne durerait pas trop longtemps.
"Est-ce qu'il est possible de préparer quelques éléments de mon héritage de façon à ce qu'ils se cassent à coup sûr? Dans ce cas, j'aurai une bonne raison d'apprendre les bonnes manières à ma bonne."
Aardewerk dût déglutir et ne sut pas quoi répondre.
"Cela dépend," dit-il enfin. "Il faudrait d'abord que je voie votre héritage."
"C'est possible, Adrian. Il est dans la pièce à côté."
Il se leva et introduisit son hôte dans l'antichambre où se trouvaient quelques caisses remplies de copeaux.
Aardewerk sortit soigneusement de la première caisse une pièce de cristal extrêmement travaillée. Il ne put dissimuler sa surprise.
Avant que Pennickx puisse l'interroger Aardewerk dit:
"C'est un élément du Service moscovite et cela vaut une fortune!"
"Et qu'est-ce qui se cache derrière ce nom?" demanda Pennickx, avec l'air de quelqu'un qui s'intéresse pour l'instant plus aux jeunes bonnes qu'à un service en verre originaire de Moscou.
"Eh bien, il y a une légende autour du Service moscovite: le Tsar russe Vladimir en était à un moment le fier propriétaire, et l'a offert à la Tsarine le jour de la naissance de leur premier enfant. Au troisième anniversaire de l'enfant, le Service a été volé, au cours d'un bal. On n'a pas su qui l'avait pris. Le Tsar a fait fouiller tous ses invités, mais on n'a rien trouvé non plus. Pour punir les coupables éventuels, le Tsar a fait exécuter tous ses serviteurs. Les nobles étaient bien sûr protégés par leur immunité. Cependant, le Tsar voulait qu'ils payent aussi et leur a fait raser barbes et moustaches. La Tsarine elle-même n'a pu l'empêcher, malgré son influence. Un grand nombre de nobles étaient furieux de cette injustice. Surtout le Grand Duc de Transyldavie. Il jura que sa barbe n'avait pas disparu pour rien et promit que justice serait faite et qu'il serait un jour le propriétaire du Service moscovite. En cas d'échec, ses enfants devraient continuer les recherches, sans quoi ils n'auraient pas droit à la couronne. Depuis ce jour, on a souvent vu apparaître des copies du Service moscovite, en vue d'obtenir l'immense somme d'argent que le Grand Duc de Transyldavie avait prévue comme récompense."
"Et c'est le vrai Service moscovite?"demanda Pennickx, finalement intéressé.
"On peut y jeter un coup d'œil. Aidez-moi à vider la caisse, Peter, et nous saurons vite!"
Au bout d'un moment, douze verres et une carafe étincelaient sur la table. Aardewerk souleva soigneusement la carafe et, tenant le col entre le pouce et l'index, lui tapota le ventre. Un son transparent emplit la pièce. Il fit ensuite chanter les verres un à un en faisant passer un doigt humide sur le bord. Chacun produisit le même son clair.
"Je suis désolé, Peter, c'est une très bonne imitation, mais il y a beaucoup trop de potassium dans ce cristal pour qu'il soit le cristal authentique. Une copie de ce genre ne vaut pas grand chose. Je l'estime à dix guinées. Mais je vous en donnerai quinze si vous me le permettez."
"Oh! Arrêtez d'employer ce langage mercantile, Adrian! Ce n'est pas pour cela que je vous ai invité. Si jamais j'ai besoin de quinze guinées, je vous demanderai de revenir," rugit Pennickx. "Mais pouvez-vous préparer ce Service moscovite de façon à ce qu'il se casse facilement?"
"Eh bien, on voit au travers, n'est-ce pas? Le cristal est un matériau très fin et l'on peut facilement voir si quelque chose ne va pas. Mais avez-vous de la porcelaine?"
"Je suis sûr qu'il y en a. Mon oncle Archibald possédait beaucoup de choses. Regardons dans une autre caisse!"
Aardewerk sortit de la seconde caisse une tasse ornée d'inscriptions et d'un étrange motif.
"Mais regardez-donc ce que nous avons là! Une tasse Attila. C'est parfait pour ce que nous voulons faire," dit-il. Il sourit en déposant l'objet dans les mains de son ami. Peter ne semblait guère impressionné par l'objet en porcelaine ni par ce qu'Aardewerk comptait en faire.
"Le grand guerrier Attila pilla et vola pendant ses campagnes mais il fit aussi un habile commerce. Il échangeait en Chine pour ces tasses les choses qu'il volait en Europe. On en a déterré plusieurs milliers dans les steppes où Attila s'est finalement retiré. Elles ont encore moins de valeur que votre imitation."
"Vous êtes vraiment un type bien, Aardewerk. Allez-vous me préparer cette petite tasse?"
Le spécialiste regarda son hôte et dit: "Je vois que vous êtes pressé. Je l'emporte avec moi et je commencerai à y travailler dès ce soir de manière à ce que ma femme puisse vous l'apporter demain."
"Formidable! C'est tout à fait ça! Et... votre femme pourrait-elle aussi me trouver une bonne? Vous m'avez dit qu'elle avait de l'expérience dans ce domaine."
"Elle en a certainement et cela me plaît beaucoup d'aider un vieil ami. Que pensez-vous de demain matin onze heures?"
"Je serai là quand votre femme apportera la tasse en compagnie de la nouvelle bonne."
Ce furent les derniers mots échangés avant qu'Aardewerk quitte la maison de Pennickx.

Le lendemain matin, à onze heures, on sonna à la porte, et Pennickx fit entrer Madame Aardewerk et la jeune fille.
"Puis-je vous montrer le chemin jusqu'à mon bureau, Madame Aardewerk," demanda-t-il amicalement, se sentant de très bonne humeur ce matin-là.
"Bien sûr, mon cher Monsieur Pennickx," dit Madame Aardewerk, "et mon mari m'a bien recommandé de ne pas oublier de vous donner ce paquet."
"Formidable, formidable. Veuillez bien le remercier mille fois. Et maintenant, jetons un coup d'œil à cette jeune fille. Quel est son nom?" demanda-t-il, posant la question non à la jeune fille mais à Madame Aardewerk.
"Son nom est Anne-Christine van den Weezebeecke. Elle vient du sud des Pays-Bas, d'une vieille famille noble ruinée par les risques non calculés et le jeu. A part le Château de Weezebecke, qui sera vendu très bientôt aux enchères, il ne reste que des dettes. Il restera même quelques dettes impayées après la vente. Cette pauvre petite n'y peut rien, bien sûr, ce sont les parents qui sont coupables. Son père s'est tué par la boisson et sa mère s'est suicidée peu après. A partir de maintenant, les enfants doivent gagner leur vie."
"Bien... bien," dit Pennickx, en examinant soigneusement la jeune fille. Les boucles blondes entourant un doux visage et l'air intelligent de la jeune fille lui faisaient du bien. "Anne-Christine est un nom que je trouve beaucoup trop long. Je t'appellerai Joanna. C'est aussi un joli nom. Tu peux commencer demain et tu gagneras deux guinées par semaine. Voilà la clé." Il choisissait soigneusement ses mots.
La jeune fille fit une petite révérence sans prononcer une parole. Madame Aardewerk reprit la conversation.
"Monsieur Pennickx, je rapporterai vos remerciements à mon mari, et je suis sûre que Anne-Christ..., je veux dire Joanna, ne vous décevra pas."
Quelques moments plus tard, Peter Pennickx était à nouveau seul, ouvrant le paquet qu'il avait reçu. La tasse était à peine abimée. Il y trouva un petit mot qui disait: "Mon cher ami, la tasse est cassée et réparée avec de la colle qui se dissout dans l'eau. Faites-la laver et je vous assure qu'elle se cassera! Je vous souhaite beaucoup de succès. Adrian."
Pennickx replaça la tasse parmi les autres et attendit la suite des évènements.

Tôt le lendemain matin, Joanna était pour la première fois au travail dans la cuisine. Elle avait déjà fait du thé quand M. Pennickx, qui n'était pas encore rasé, prit place à la table.
"Bien, Joanna, c'est agréable qu'il y ait de nouveau une femme dans cette maison. Je peux enfin retrouver une certaine routine dans ma vie. Tu peux avoir cette petite chambre," dit-il, montrant la porte et regardant le panier dans lequel elle avait apporté ses vêtements.
"Comme vous voudrez, Monsieur," dit-elle, d'une voix qui ne laissa pas Peter Pennickx complètement indifférent.
"Le mieux est de commencer avec le déballage et le nettoyage des objets que j'ai hérités de mon oncle. Il était collectionneur de verrerie. Ses possessions sont dans l'antichambre. Mais ne casse rien, parce que la collection a une très grande valeur. Il y a notamment un service pour lequel on a tué sept cent gentilhommes," dit-il, laissant son imagination s'emballer. "Je m'occuperai moi-même du reste de mon petit déjeuner."
"Comme vous voudrez, Monsieur. Je ferai attention," dit Joanna en sortant de la pièce, son panier à la main.
Après son petit déjeuner, Pennickx alla dans l'antichambre, où il vit Joanna occupée à vider la première des caisses.
"Tu peux nettoyer le service qui se trouve dans la première caisse, car je veux m'en servir tout de suite. Tu rempliras la carafe avec du porto. La seconde caisse contient des tasses Attila. C'est de la porcelaine chinoise et tu peux les mettre sur le buffet après les avoir lavées. Ensuite il sera probablement l'heure de faire les courses pour notre repas."
"Comme vous voudrez, Monsieur," répondit Joanna.

Pour une fois, Pennickx sentit qu'il vallait mieux qu'il n'aille pas à La Petite Société, comme tous les jours. Il préféra rester à la maison et écrire à son banquier pour se plaindre du retard inutile avec lequel ses lettres lui parvenaient. Cependant, avant qu'il puisse signer la lettre, on frappa à la porte de son bureau.
"Entrez," dit-il. Joanna pénétra dans la pièce, les morceaux de la tasse Attila dans les mains.
"Je n'ai vraiment rien pu faire, Monsieur. La tasse s'est cassée pendant que je la lavais."
M. Pennickx, ignorant sa confession, signa d'abord la lettre, puis la mit dans une enveloppe. Il se retourna ensuite vers la jeune fille.
"Viens ici, Joanna," dit-il. "Sais-tu d'où vient cette tasse? Mon oncle a passé sa vie entière à en faire une respectable collection et la première bonne venue met cela en pièces. Cette tasse a survécu à dix siècles et tu ne peux pas la tenir dans les mains un quart d'heure sans la casser. Elle vaut au moins mille cinq cent guinées. Tu n'arriveras jamais à économiser cette somme sur ton salaire. Qu'allons-nous faire?"
La jeune fille regarda autour d'elle, cherchant désespérément une réponse à cette question. Elle était au bord des larmes.
"Quand je serai de nouveau riche, je vous rembourserai dès que ce sera possible," dit-elle enfin d'une voix éteinte.
"Ha! Ha! Quand tu seras de nouveau riche! Tu me fais rire. Tu es pauvre comme une mendiante et ta famille a d'énormes dettes. Non, tu m'as fait perdre une bonne partie de mon argent par ta maladresse, mais je serai gentil avec toi. Ce soir, avant de te coucher, tu viendras me voir ici et je te donnerai une fessée. Cela t'apprendra peut-être à faire plus attention la prochaine fois. Tu peux t'en aller maintenant."
"Merci, Monsieur," dit Joanna, fermant la porte derrière elle.

Le soir même à neuf heures M. Pennickx entendit frapper à sa porte et Joanna entra dans le bureau sans attendre sa permission. Elle était en robe de chambre et elle resta à la porte, sans dire un mot.
Pennickx quitta sa table, se plaça près d'une petite chaise sans accoudoirs et fit signe à Joanna de s'approcher de lui. Joanna n'avait pas besoin d'explications. Elle enleva sa chemise de nuit et se pencha par-dessus la chaise. Peter Pennickx regarda le visage de la jeune fille, tourné vers lui. Ses joues avaient rougi et elle fermait les yeux. Il lui toucha d'abord doucement les cheveux puis commença le travail pour lequel elle était venue.
Apparemment, elle ne ressentait pas suffisamment les coups au début, car elle murmurait "plus fort, plus fort!" pendant qu'il la fessait.
Pennickx redoubla d'ardeur mais fut bientôt fatigué. Après vingt ou trente coups, il fut satisfait et s'arrêta.
"Oh! S'il vous plaît! Continuez! Je le mérite!" supplia Joanna, de sa position inconfortable.
"Non, c'est assez", dit M. Pennickx, "tu dois aller te coucher maintenant."
Joanna revint à la réalité et partit silencieusement dans sa chambre.

Au petit déjeuner, M. Pennickx trouva une joyeuse Joanna dans la cuisine. Elle remplissait la carafe de porto. Pennickx n'était pas très sûr de la manière de passer en revue les évènements de la soirée précédente, mais il commença:
"Joanna, j'ai remarqué que tu obtenais une certaine quantité de plaisir pendant que tu recevais ta punition. J'ai l'intention de te donner une guinée de plus chaque semaine si nous pouvons refaire cela chaque jour."
Joanna sursauta à cette proposition généreuse.
"Mais, Monsieur, le seigneur nous a donné des lois strictes. Si je mérite une punition, je devrais la recevoir, mais une punition pour de l'argent est sûrement un péché."
Peter Pennickx n'était pas préparé à une telle réponse.
"Je crois que tu as raison, Joanna. Dieu n'a pas prévu que les choses se passent ainsi, mais si cela nous plaît à tous les deux?"
Joanna lui sourit d'un air moqueur. Elle plaça un des verres du Service moscovite au bord de la table, le poussa doucement et le rattrapa juste avant qu'il ne se casse en mille morceaux sur le dur carrelage du sol.
"Les accidents arrivent, n'est-ce pas , Monsieur?"
"Tu as raison là aussi!" dût admettre Pennickx, témoin de cette adroite démonstration. "Chaque verre veut dire vingt coups, mais si tu casses la carafe, tu peux acheter un fouet avec ton propre argent chez le sellier pour être sûre que tu reçois tes coups!"
"Vous êtes un bon maître", dit la jeune fille qui commença à nettoyer la table avec un chiffon.

En servant le dîner, Joanna dût admettre qu'elle avait cassé un des verres moscovites.
"Que voulez-vous que je fasse des morceaux, Monsieur?" dit-elle hardiment.
"Jette-les. Mais ce soir tu auras tes vingt coups, comme punition."
"Comme vous voudrez, Monsieur", dit Joanna, sans exprimer la moindre émotion.
Ce soir-là, ils refirent la même chose, et cela lui plût apparemment autant que la veille. Ainsi passèrent les jours et M. Pennickx devint l'homme le plus heureux du monde! Chaque jour un verre et chaque soir son plaisir.
Le soir du douxième jour Pennickx vida la carafe, par précaution. Il la donna à Joanna.
"Voilà, emporte cette carafe avec toi dans la cuisine. Demain, tu peux la nettoyer et la remplir de nouveau."
Joanna prit la carafe sous son bras en disant son habituel "Comme vous voudrez, Monsieur," et sortit.
Au bout d'une heure, Pennickx n'arrivait plus à contrôler sa curiosité.
"Elle l'a peut-être déjà cassée? Les coups de fouet doivent être encore plus excitants!"
Il alla sur la pointe des pieds à la cuisine dans l'espoir de trouver un tas encourageant de morceaux de cristal, mais il ne put trouver ni la carafe ni ses restes. Peter Pennickx alla ensuite à la porte de la chambre de Joanna et regarda à travers le trou agrandi de la serrure pour voir si Joanna l'avait posée sur le coffre près du lit.
Il se pencha et dût laisser ses yeux s'habituer à la faible lumière de la bougie qui éclairait la chambre. Au bout d'un moment il vit Joanna en train de danser, la carafe dans les bras. Elle la tenait parfois vers le haut, comme un objet de culte, et la lançait parfois en l'air. A intervalles réguliers, elle la tenait sur sa poitrine et embrassait son ventre. La dernière chose qu'il vit fut Joanna qui, ayant laissé glisser sa chemise de nuit de ses épaules, se mettait au lit avec la carafe dans ses bras.
"Quel charmant petit diable", pensa-t-il, ayant assisté à ce spectacle, qui prit fin quand Joanna souffla la bougie.
A partir de là, Pennickx ne pouvait plus qu'écouter, l'oreille collée à la serrure. Et sa patience fut récompensée, car il pouvait entendre Joanna se masturber avec la carafe en cristal. Il espéra que le mince col se briserait sous les mouvements sauvages qu'elle semblait faire et il fut déçu quand tout devint silencieux.
Pennickx remarqua qu'il avait froid et qu'il s'était engourdi, et il dût se retirer dans la chaleur de son bureau.
Il n'avait pas atteint le bout du couloir qu'il entendit le bruit argentin du cristal qui se brise et le cri triomphant de Joanna.
"Enfin", pensa-t-il, et il se mit à attendre avec impatience le lendemain.

Pennickx apparut au petit déjeuner et ne montra rien du fait qu'il avait regardé à travers le trou de la serrure une partie de la nuit. Joanna avait l'air ennuyée et semblait avoir du mal à trouver les mots justes:
"La carafe n'existe plus. J'avais les morceaux, mais ils ne sont plus là."
"Tu sais ce que nous avons décidé", dit Pennickx auquel la situation ne posait aucun problème. "Tu vas chez le sellier aujourd'hui et tu t'achètes un fouet. Ce soir je te montrerai comment on s'en sert."
"Comme vous voudrez, Monsieur," dit-elle, apparemment détendue maintenant que les choses étaient claires. "J'y vais dès que possible."
Au bout d'un moment, Joanna sortit de la maison, portant son petit panier. Elle était pressée, mais elle passa sans même un regard devant l'échoppe du sellier. Elle continua jusqu'à la maison de M. Aardewerk, où elle rencontra le consul du Grand Duc de Transsyldavie.
Sans paraître remarquer son habit d'employée, il la salua élégamment.
Aardewerk était inquiet et demanda:
"Et la carafe? Vous avez aussi la carafe?"
Joanna sourit et souleva les vêtements qui remplissaient son panier pour révéler les douze verres et la carafe.
"La diligence pour Weezebeecke part à midi et je dois me changer auparavant", dit-elle.
Le Consul de Transyldavie dit:
"Je suis passé chez le notaire: la moitié de la récompense suffit à payer les dettes de votre père."
Puis les deux hommes se penchèrent sur le service en cristal.
"J'ai su dès le premier coup d'œil qu'il s'agissait du véritable service", dit Aardewerk.
"Mais l'apporter ici fut un autre histoire", pensa Anne-Christine van den Weezebeecke.